Azam Hakizimana, a displaced Congolese man, holds a voters's card at a camp for internally displaced peopel during the registration of civilians by the electoral commission as voters, in Kanyaruchinya near Goma, North Kivu province of the Democratic Repub REUTERS/Arlette Bashizi Report 312 / Africa 30 octobre 2023 20+ minutes Élections en RD Congo : limiter les risques de violence Les risques qui pèsent sur le prochain cycle électoral en République démocratique du Congo sont nombreux. Pour les éviter, le gouvernement devrait veiller à ce que tous les partis puissent faire campagne et les puissances africaines et occidentales devraient inciter les parties à trouver des compromis et se préparer à jouer un éventuel rôle de médiation. Share Facebook Twitter Courriel Linkedin Whatsapp Enregistrer Imprimer Download PDF Full Report (fr) Also available in English Français English Que se passe-t-il ? La République démocratique du Congo (RDC) organise un nouveau cycle électoral, qui commencera par un scrutin présidentiel le 20 décembre 2023 et d’autres élections en 2024, dans des conditions dangereuses. Le président Félix Tshisekedi se présente pour un deuxième mandat face à une opposition divisée et des conflits armés dans l’est du pays. En quoi est-ce significatif ? Après les élections contestées de 2018 et les violences qui en ont découlé, ces élections seront cruciales pour consolider les progrès démocratiques en RDC. La gestion sans consensus du processus électoral accroît les risques de contestation du scrutin et de violences connexes, ce qui pourrait nuire à la stabilité du pays. Comment agir ? Le gouvernement devrait limiter les abus des services de sécurité, la commission électorale devrait mieux garantir la transparence et tous les partis devraient dénoncer la rhétorique incendiaire. Les partenaires internationaux devraient aider les acteurs à trouver des compromis politiques et se préparer à mener une médiation en cas de contestation des résultats. Synthèse La République démocratique du Congo s’apprête à entamer, dans des conditions périlleuses, un nouveau cycle électoral qui commencera en décembre et se poursuivra au cours de l’année 2024. Les combats dans l’est du pays et dans d’autres régions ont privé plus d’un million de citoyens de leur carte d’électeur. L’opposition, confrontée à une répression accrue du gouvernement et à une commission électorale nationale indépendante (Ceni) qu’elle considère comme favorable au parti au pouvoir, est tentée de rejeter chaque étape de ce processus. Parallèlement, le risque de violence localisée est élevé. Un résultat présidentiel serré ou contesté pourrait également conduire à une crise nationale, comme ce fut le cas en 2018. Pour atténuer ces risques, le gouvernement devrait veiller à ce que tous les partis puissent faire campagne sans subir d’intimidation ni de restrictions injustifiées. Il devrait s’assurer que la Ceni, qui doit elle-même rémunérer son personnel et lutter contre l’extorsion des électeurs, soit financée de manière adéquate. Les puissances africaines et occidentales devraient encourager les responsables politiques à faire des compromis ; ils devraient également dénoncer les abus, continuer de soutenir les observateurs nationaux du scrutin et se préparer à une médiation si elle s’avérait nécessaire. Alors que les élections entrent dans la dernière ligne droite, le président Félix Tshisekedi présente quelques faiblesses, mais il est néanmoins en bonne position pour être réélu. Son bilan n’est guère reluisant : la sécurité s’est détériorée dans plusieurs régions et l’essor du secteur minier dans le pays ne s’est pas répercuté sur le niveau de vie des citoyens. Il a néanmoins renforcé sa position en élargissant sa coalition à plusieurs personnalités politiques majeures. L’opposition espère, quant à elle, capitaliser sur les mauvais résultats de Tshisekedi, notamment en matière de sécurité. Mais elle est fragmentée et se heurte à des obstacles considérables, et notamment à la difficulté de faire campagne dans un très grand pays où les infrastructures sont particulièrement mauvaises. Peu de signes indiquent, à ce jour, que les dirigeants de l’opposition accepteront de limiter le nombre de candidats lors du scrutin présidentiel, en vue de réduire le risque de voir leur vote se fracturer. Le consensus nécessaire pour que les élections se déroulent sans heurts fait ... cruellement défaut. Les tensions politiques montent. De nombreuses controverses et occasions manquées d’amélioration ont jalonné les préparatifs électoraux, et la Ceni reste confrontée à des défis logistiques et politiques considérables. La Ceni et le gouvernement ont, depuis le début, fait peu de cas du besoin de transparence et n’ont pas réussi à se coordonner sérieusement avec les missions d’observation de la société civile. Le consensus nécessaire pour que les élections se déroulent sans heurts fait, par conséquent, cruellement défaut. L’enrôlement des électeurs a été imparfait, et en particulier, les combats entre les forces armées et le groupe d’insurgés du Mouvement du 23 mars (M23) dans le Nord-Kivu – et les problèmes d’insécurité ailleurs –, ont privé plus d’un million de citoyens de carte d’électeur. La reprise des combats au début du mois d’octobre entre le M23 et l’armée et ses supplétifs a fait craindre que même les personnes possédant une carte d’électeur ne puissent pas voter en raison de l’insécurité. Dans de nombreuses régions, les agents électoraux semblent avoir empêché les citoyens de s’inscrire pour des motifs fallacieux ou les avoir enrôlé moyennant paiement. Parallèlement, les autorités ont maintenu un « état de siège » (une forme de loi martiale) dans deux provinces de l’est et répriment les manifestations et les réunions ailleurs, limitant ainsi les libertés nécessaires à une campagne pacifique. Le 12 octobre, le président Tshisekedi a annoncé une levée partielle et graduelle de l’état de siège, mais le manque de respect des libertés politiques reste préoccupant dans les provinces orientales fortement militarisées. Ces problèmes créent de multiples risques de troubles au cours de la période électorale et augmentent la probabilité que les résultats soient contestés. Le 30 août, des troupes de la Garde républicaine ont massacré plus de 50 civils qui se préparaient à manifester, démontrant ainsi que les risques d’abus de la part des forces de sécurité qui pèseront sur la campagne électorale sont réels. D’autres risques pèsent sur ces élections, notamment des risques d’affrontements entre les membres des différents partis, d’augmentation des attaques des groupes armés dans l’est et autour de Kinshasa, et de conflits violents dans les bureaux de vote si les agents ne respectent pas les droits des électeurs ou les obligent à payer pour pouvoir voter. En outre, les tensions électorales pourraient aboutir à des affrontements entre des communautés qui s’opposent déjà sur les questions de gouvernance locale, d’utilisation des terres et d’accès aux sites miniers. Tous ces risques sont aggravés par des discours incendiaires irresponsables, en ligne et hors ligne. Si les partis perdants ou leurs soutiens rejettent les résultats, une crise politique plus large pourrait éclater, qui pourrait être gravement exacerbée si les combats se poursuivent ou s’aggravent dans l’est du pays. La RDC a mené de nombreux efforts en vue de tracer un avenir plus démocratique et, à plus long terme, pour sortir de la pauvreté et de la guerre. Une élection mal organisée, qui exclurait du vote un très grand nombre de citoyens, pourrait mettre à mal ces efforts. Néanmoins, une large crise au moment de l’annonce des résultats des élections peut encore être évitée. Mais si elle se produisait, les voisins rivaux et les acteurs régionaux pourraient ne pas être en mesure d’intervenir pour mener une médiation ou pour apporter une solution. Nombre d’entre eux prennent part aux combats dans l’est de la RDC, mais avec un degré de coordination très limité et des objectifs d’opérations variés et qui ne se recoupent pas toujours. Certains soutiennent ces groupes armés depuis longtemps en vue d’étendre leur influence dans le pays. Les principaux acteurs, et en particulier le gouvernement et la Ceni, peuvent prendre des mesures essentielles pour réduire les risques de violence localisée ou de crise plus large. Le gouvernement devrait limiter les abus de ses forces de sécurité afin de permettre à tous les partis de faire campagne. Les autorités devraient réduire les restrictions imposées aux réunions politiques, et les dirigeants politiques devraient appeler leurs partisans à ne pas recourir à la violence lors des manifestations. Le gouvernement et l’opposition devraient dénoncer les discours incendiaires tenus en ligne ou lors des réunions de campagne. Le gouvernement devrait renforcer la confiance dans les forces de sécurité, en veillant à l’équilibre régional lors de la phase actuelle de recrutement, afin de donner des gages de leur impartialité. Après la levée partielle de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, les autorités devraient être particulièrement vigilantes pour assurer le respect des libertés politiques dans ces régions pendant la période électorale. Le gouvernement devrait veiller à ce que la Ceni soit financée de manière adéquate. La Ceni devrait privilégier la transparence budgétaire pour garder la confiance de la population, s’assurer que son personnel est rémunéré et sanctionner toute tentative d’extorsion des électeurs. Les acteurs internationaux, à commencer par les puissances africaines influentes à Kinshasa, ainsi que les acteurs occidentaux, devraient encourager le gouvernement et l’opposition à trouver des compromis sur les questions susmentionnées et se tenir prêts à proposer une médiation en cas de contestation des résultats. Ils devraient également continuer à soutenir les groupes nationaux d’observation des élections. Bruxelles/Nairobi, 30 octobre 2023 I. Introduction La République démocratique du Congo (RDC) est engagée dans son quatrième cycle électoral depuis la fin des guerres civiles et régionales des années 1990 et 2000, et les tensions politiques montent. L’insécurité dans l’est du pays complique l’organisation des scrutins. Des éléments de l’opposition, réprimée par le gouvernement et méfiante quant à la fiabilité des préparatifs électoraux, n’excluent pas la contestation des résultats du scrutin le moment venu. Malgré un calendrier ambitieux, la commission électorale a respecté, à ce stade, les délais établis pour les scrutins en 2023 et 2024. Les élections présidentielle, législatives, nationales et provinciales se dérouleront, sauf imprévu, le 20 décembre 2023. Fin août, la Ceni a cependant limité l’élection des conseillers communaux, initialement prévue à la même date, aux seules communes situées dans les chefs-lieux de provinces.[1] Les scrutins indirects pour l’élection des sénateurs, des gouverneurs et vice-gouverneurs des provinces se tiendront entre fin février et début mars 2024. L’élection des maires, des bourgmestres et des chefs de secteurs, quant à elles, s’étaleront de mars à septembre 2024. À la clôture des opérations d’enrôlement le 23 avril, la Ceni avait inscrit 47 299 364 électeurs au registre électoral sur les 49 273 109 attendus, soit un taux de réalisation de 97,14 pour cent.[2] À l’issue d’un audit externe controversé, la Ceni a réduit le nombre d’électeurs à 43 955 181.[3] Ces statistiques sont contestées par l’opposition et la société civile. Ces élections présentent quelques singularités par rapport aux précédents scrutins. Premièrement, ce sont les premières qu’organise le président Félix Tshisekedi, arrivé au pouvoir en janvier 2019 après un scrutin controversé, et lui-même candidat déclaré pour un second mandat.[4] Deuxièmement, la Ceni va organiser pour la première fois des élections municipales. Prévues à chaque cycle électoral depuis 2006, le gouvernement avait systématiquement reporté ces élections, sous divers prétextes. Finalement, le fichier électoral va également inclure pour la première fois des Congolais de l’étranger, résidant dans cinq pays pilotes : l’Afrique du Sud, la Belgique, le Canada, les Etats-Unis et la France. Malgré cette extension à un nouvel électorat, le taux de participation à ces scrutins pourrait souffrir à la fois d’un contexte sécuritaire délétère et d’une défiance persistante d’une partie de l’opposition, ce qui entamerait la légitimité du processus. L’insécurité à l’est, due aux activités des groupes armés et notamment à la résurgence dans la province du Nord-Kivu, à la fin 2021, de la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23), soutenue par le Rwanda, ainsi que les violences interethniques à l’ouest, dans le territoire de Kwamouth (province de Maï-Ndombe) et dans la commune de Maluku (ville-province de Kinshasa), ont empêché l’enregistrement de plus d’un million d’électeurs qui vont être exclus du vote. [1] Communiqué de presse n°044/Ceni/2023, 22 août 2023. Bien qu’officiellement due aux conflits dans certains territoires, l’annulation de ce scrutin à la veille de la clôture de la réception des dossiers de candidature serait en réalité justifiée par le manque de candidats. [2] À l’issue de l’audit externe du 21 mai 2023, 3 344 183 électeurs ont été radiés, ramenant le fichier électoral définitif à 43 955 181 électeurs déclarés valides. « Communiqué de presse n°02/Ceni/2023 », 22 mai 2023. [3] « Communiqué de presse n°024/CEI/2023 », Ceni, 22 mai 2023. [4] Voir le commentaire de Crisis Group « DR Congo: A Recount and Talks to Find a Way Out of the Crisis », 19 janvier 2019. Ces élections risquent d’aggraver les fractures dans la RDC marquée par des violences des groupes armés ... et par la montée des replis communautaires. Ces élections risquent d’aggraver les fractures dans ce pays marqué par des violences des groupes armés, des abus des forces de sécurité et par la montée des replis communautaires.[1] D’une part, la non-organisation des élections dans les territoires de l’est du pays en proie à l’occupation des groupes armés et de la rébellion du M23 pourrait renforcer la marginalisation politique de cette partie du pays où les questions d’identités communautaires ont été à la base des conflits violents des trois dernières décennies. Des contestations pourraient attiser ces conflits ou en susciter de nouveaux. D’autre part, les soupçons d’un scrutin inéquitable ou joué d’avance pourraient exacerber les tensions politiques ou intercommunautaires, voire dégénérer en violences de grande intensité, dans certaines régions comme le Katanga, fief de l’ancien président Joseph Kabila et l’opposant Moïse Katumbi. Ce rapport examine les conditions nécessaires pour réduire les risques de violences autour de ces élections, afin que ce cycle électoral contribue, à terme, à promouvoir la paix et la stabilité en RDC. Il présente les principaux acteurs politiques, aborde les principales régions touchées par des conflits, examine les préparatifs électoraux effectués jusqu’à présent et analyse les défis du processus électoral ainsi que la montée des discours incendiaires. Il propose des recommandations sur la manière dont le gouvernement, la Ceni et les acteurs internationaux peuvent réduire les risques de violence avant, pendant et après les scrutins. Le rapport repose sur plus de 70 entretiens effectués principalement à Kinshasa et dans les provinces du Haut-Katanga et du Nord-Kivu et menés en majorité entre février 2022 et septembre 2023 avec des représentants politiques nationaux et provinciaux, de la majorité comme de l’opposition, des responsables de la société civile, des experts électoraux, des diplomates et des organisations internationales impliquées dans la question électorale. Dans la sphère politique congolaise, marquée par une faible représentativité des femmes, nous nous sommes principalement entretenus avec des hommes. Pourtant, nous nous sommes entretenus avec la seule femme candidate à l’élection présidentielle. Lors de nos entretiens auprès la société civile et des organisations internationales, où la représentativité des femmes est meilleure, la répartition de nos interlocuteurs et interlocutrices était plus équilibrée. [1] Entretiens de Crisis Group, dirigeants politiques, candidat de l’opposition à la présidentielle, février-avril 2023. II. Les stratégies risquées des prétendants au pouvoir La scène politique congolaise se divise entre une majorité présidentielle hétéroclite et une opposition fragmentée autour d’une demi-douzaine de chefs de file de l’opposition. Le président Tshisekedi part favori pour les élections de décembre. Il a réussi à renverser le jeu politique en sa faveur dès 2020, à contrôler les rouages du système électoral et à attirer vers son camp de nombreux opposants. En face, l’opposition ne dispose pas d’une réelle marge de manœuvre dans un scrutin à un seul tour, et, pour le moment, aborde ces élections en ordre dispersé alors que certains de ses poids lourds envisagent d’en rejeter les résultats.[1] Cette éventualité laisse planer un doute sérieux sur la réussite de ce cycle électoral. [1] Entretiens de Crisis Group, députés, chefs de file de l’opposition, responsables des partis politiques et analystes politiques, Kinshasa, Goma, Nairobi et par téléphone, février-mai 2023. A. Tshisekedi et la logique des alliances électorales Arrivé au pouvoir en 2019 au terme d’un processus électoral contesté, où son parti n’a obtenu que 32 des 500 sièges au parlement, Tshisekedi a été contraint de travailler avec son prédécesseur Joseph Kabila. Ce dernier avait gardé la main sur le parlement et ses réseaux étaient profondément ancrés dans l’administration et les services de sécurité. À la fin de 2020, Tshisekedi avait toutefois réussi à prendre le contrôle de la plupart des principales institutions de l’Etat, grâce à de nouvelles nominations et à la cooptation de nombreux parlementaires. En décembre 2020, ses alliés ont évincé les partisans de Kabila des positions de premier plan qu’ils occupaient encore, y compris la présidente de l’Assemblée nationale Jeanine Mabunda, marquant ainsi la fin de cette alliance complexe. Libéré de l’influence écrasante de son prédécesseur, Tshisekedi a dû forger des alliances dans un paysage politique pluraliste et très fluide pour former une majorité parlementaire. Son parti, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), bénéficie en effet d’un fort soutien populaire dans la capitale Kinshasa et dans la région du Kasaï, dont Tshisekedi est originaire. Mais il n’a que peu d’influence dans l’est du pays, très peuplé, et dans les provinces économiquement vitales issues de la division, en 2015, de l’ancienne province du Katanga. La coalition formée au début de 2021, l’Union sacrée de la nation, comprenait ainsi des partisans de plusieurs rivaux de premier plan, notamment Moïse Katumbi, l’ancien gouverneur de la province du Katanga. L’Union sacrée a connu un important réaménagement à la fin de l’année 2022 et au début de l’année 2023. En décembre 2022, Katumbi a quitté la coalition, emmenant avec lui une trentaine de députés sur les 70 parlementaires de l’Union sacrée et trois de ses six ministres membres de sa propre plateforme politique Ensemble pour la République.[1] Ce départ n’avait rien de surprenant vu les ambitions présidentielles bien connues de Katumbi. Mais cela a permis à Tshisekedi de chercher des alliances avec d’autres poids lourds qui n’ont pas affiché leur ambition de se présenter à la prochaine élection présidentielle, d’où les nominations ministérielles de Jean-Pierre Bemba, Vital Kamerhe et Mbusa Nyamwisi en mars 2023.[2] [1] Certains anciens alliés de Katumbi, comme le ministre des Affaires étrangères Christophe Lutundula, ont choisi de soutenir Tshisekedi. [2] « Félix Tshisekedi réaménage le gouvernement : Bemba, Kamerhe, Mbusa Nyamwisi, Peter Kazadi, intègrent l’exécutif national », Radio Okapi, 24 mars 2023. C’est ... sans grande surprise que l’Union pour la nation congolaise de Kamerhe a annoncé qu’elle soutiendrait Tshisekedi à la prochaine présidentielle. Le calcul de Tshisekedi est sans doute que ces trois nouveaux ministres peuvent lui apporter des voix dans des régions où son parti est faible : Jean-Pierre Bemba a des soutiens dans le nord-ouest et Mbusa Nyamwisi et Vital Kamerhe dans l’est. C’est donc sans grande surprise que l’Union pour la nation congolaise de Kamerhe a annoncé qu’elle soutiendrait Tshisekedi à la prochaine présidentielle.[1] Les trois hommes ont, en outre, une expérience en matière d’élection car ils ont déjà été candidats à la présidentielle. Toutefois, ce calcul est risqué, car ils ont tous les trois un passé controversé. Vital Kamerhe, ancien directeur de cabinet de Tshisekedi, a purgé deux ans de prison pour corruption, avant d’être acquitté puis libéré en août 2022.[2] Jean-Pierre Bemba, ancien seigneur de guerre, a été condamné par la Cour pénale internationale pour avoir menacé des témoins dans une affaire concernant la République centrafricaine, mais il a été acquitté en appel, en 2018, d’accusations de crimes de guerre.[3] La Cour constitutionnelle l’a empêché de se présenter à l’élection présidentielle de 2018 en raison de cette condamnation. Mbusa Nyamwisi, qui a été ministre des Affaires étrangères sous Kabila entre 2007 et 2008, a lui aussi un passé controversé de chef de guerre dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.[4] Même s’il aborde les prochaines élections en position de favori, Tshisekedi souffre de certaines faiblesses politiques. L’UDPS et son entourage proche sont déchirés par des rivalités, et les parcours des grandes figures du régime sont marqués par des cycles de disgrâce, des poursuites pour corruption et des changements rapides de position.[5] Ceci donne l’impression d’un régime en constante mutation. De surcroît, le bilan politique de Tshisekedi est très mitigé en termes de sécurité et de prospérité de la population.[6] Il garde néanmoins le contrôle sur les institutions de l’Etat et semble toujours en mesure d’attirer des acteurs politiques de tous les niveaux, et tire largement parti des divisions de l’opposition. [1] « En RDC, l’UNC de Kamerhe votera Tshisekedi », Jeune Afrique, 19 août 2023. [2] « RDC : l’acquittement très politique de Vital Kamerhe », Afrikarabia, 26 juin 2022. « Vital Kamerhe : les dessous d’une tournée à haut risque », Politico.cd, 22 septembre 2022. [3] Briefing Afrique de Crisis Group N°140, RD Congo : l’onde de choc de Bemba, 15 juin 2018. [4] Verweijen Judith, « Pompier-Pyromanocracy: Mbusa Nyamwisi and the DR Congo’s inflammable post-settlement political order » in Anders Themnér, Warlord Democrats in Africa: Ex-Military Leaders and Electoral Politics, Zed Books, 2017. [5] Le cas le plus emblématique de ces revirements d’alliances a été la disgrâce de Jean-Marc Kabund. Alors président intérimaire du parti présidentiel, ancien premier vice-président de l’Assemblée nationale et l’un des principaux organisateurs de l’Union sacrée, Kabund est entré en conflit début 2022 avec d’autres figures de l’UDPS. En septembre 2023, il a été condamné à sept ans de prison pour outrage au chef de l’Etat. « En RDC, Jean-Marc Kabund condamné à sept ans de prison », Jeune Afrique, 13 septembre 2022. [6] « RDC : la cote de popularité de Tshisekedi en “chute vertigineuse” », La Libre Afrique, 25 mars 2022. B. L’opposition face au défi de l’union et de la cohérence L’opposition à Tshisekedi est émiettée et disparate. Sans surprise, la plupart des candidats attendus sont sur la ligne de départ, notamment les poids lourds de l’opposition. Trois d’entre eux, tous des hommes, ont la plus grande notoriété nationale et internationale : l’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo et Martin Fayulu, qui, selon des évaluations indépendantes, serait le véritable vainqueur du scrutin de 2018.[1] Quant au célèbre gynécologue et lauréat du prix Nobel, le Dr Denis Mukwege, après avoir fait planer le doute, il a finalement présenté sa candidature le 2 octobre.[2] Le 19 octobre, la Ceni a déclaré recevables toutes les 24 candidatures à la présidentielle, renvoyant leurs dossiers à la cour constitutionnelle pour validation finale avant le 18 novembre. Ces quatre chefs de file de l’opposition ont périodiquement tenté d’opérer des rapprochements et de mener des initiatives communes. À l’issue d’une réunion à Lubumbashi tenue en avril 2023, ils ont publié un communiqué très critique à l’égard du régime de Tshisekedi et annoncé des manifestations à Kinshasa en mai pour dénoncer, entre autres, un « processus électoral chaotique », que les forces de l’ordre ont violemment réprimé. La candidature de Mukwege, bien qu’attendue, a rebattu les cartes au sein de l’opposition et sur l’échiquier électoral dans son ensemble. Il entre dans l’arène avec les faiblesses de ses forces. Longtemps critiqué comme le candidat de l’extérieur, son intransigeance envers les défauts du processus électoral, qui pourrait attirer davantage d’attention de la part de ses nombreux contacts et alliés au niveau international, semble inquiéter la majorité au pouvoir. Quant à son manque d’expérience politique, elle lui donne une image d’intégrité au sein d’un milieu politique gangréné par la corruption et les malversations. Tshisekedi a donc senti la menace que représente ce nouveau venu qui, avec Moïse Katumbi, est devenu la cible de ses attaques.[3] Ce statut d’outsider de grande notoriété lui donne en plus une plus grande liberté et notamment celle de mettre l’opposition face à sa responsabilité de « jouer collectif » pour espérer remporter face au candidat Tshisekedi.[4] L’ancien président Kabila, considérablement affaibli depuis 2020, est le seul poids lourd qui ne participe pas au scrutin présidentiel ; sa plateforme a boycotté toutes les phases du processus.[5] Son entourage et sa famille font des déclarations occasionnelles sur des questions politiques, surtout pour critiquer le bilan de Tshisekedi, mais il semble que ce soit avant tout en vue de conserver suffisamment de poids pour protéger les intérêts économiques de la famille. Enfin, même si le bilan mitigé de Tshisekedi pourrait leur donner espoir, les opposants font face à plusieurs handicaps de taille. Leurs programmes politiques ne diffèrent guère et sont peu connus. En réalité, chacun des chefs de file de l’opposition est fortement associé à une région donnée et donc contraint de chercher des alliances avec des responsables politiques d’autres régions pour gagner en influence au niveau national. Toutefois, le très faible niveau de confiance entre les candidats et leurs ambitions individuelles rendent très délicat le maintien de telles alliances.[6] En ce qui concerne les élections législatives, les responsables politiques locaux tenteront de s’allier à des partis plus importants, mais ces alliances risquent d’être également, pour la plupart, opportunistes et instables. [1] « RDC : une fuite de documents révèle que Martin Fayulu serait le vainqueur de la présidentielle », Jeune Afrique, 15 janvier 2019. [2] « En RDC 100 000 dollars remis à Denis Mukwege pour sa candidature à la présidentielle », Jeune Afrique, 17 septembre 2023. [3] « RDC : Mukwege, première cible du candidat Tshisekedi », actualite.cd, 7 octobre 2023 ; « Présidentielle : des piques de F. Tshisekedi à Katumbi et Mukwege », Mediacongo, 10 octobre 2023. [4] « Denis Mukwege : l’idéal est de trouver un candidat commun », Mediacongo, 9 octobre 2023. [5] « Présidentielle en RDC, qui sera sur la ligne de départ ? », La Libre Afrique, 11 septembre 2023. [6] Entretien de Crisis Group, député de l’opposition, Kinshasa, février 2023. « RDC: Le défi de l’opposition sera de créer une nouvelle dynamique autour d’une ou deux candidatures», RFI, 9 octobre 2023. Avec des candidats pléthoriques et sans une alliance solide, l’opposition a peu de chances de renverser Tshisekedi lors d’un scrutin présidentiel à un tour. Avec des candidats pléthoriques et sans une alliance solide, l’opposition a peu de chances de renverser Tshisekedi lors d’un scrutin présidentiel à un tour.[1] En effet, étant donné que Tshisekedi aura l’avantage du contrôle sur les ressources du gouvernement et certaines assises populaires et régionales, plus le vote de l’opposition est éparpillé entre de nombreux candidats, moins ils ont de chances d’obtenir davantage de votes que le président actuel, laissant entrevoir la possibilité que ce dernier gagne avec une courte majorité relative. Certains opposants, à l’instar de Mukwege, n’écartent pas la possibilité d’une alliance autour d’un candidat commun mais si celle-ci n’est annoncée que tardivement, elle pourrait s’avérer périlleuse. Certains analystes considèrent en effet que la dispersion des candidatures relève d’une stratégie de l’opposition à ne pas dévoiler précocement son porte-étendard afin de ne pas l’exposer à une exclusion prématurée par les instances électorales réputées proches du pouvoir.[2] Cependant cette stratégie n’est pas sans risques. D’une part, la publication de la liste définitive interviendra un jour avant le début de la campagne électorale et un mois avant le scrutin, ce qui laisse une marge de manœuvre extrêmement ténue au candidat pour se mettre en ordre de bataille. D’autre part, la Ceni pourrait, comme en 2018, maintenir les noms de tous les candidats sur les bulletins de vote, y compris ceux qui se seraient désistés, minimisant du coup l’effet de l’alliance. Face à ces obstacles, plusieurs chefs de file de l’opposition s’expriment régulièrement pour dénoncer des élections truquées d’avance et annoncer qu’ils pourraient en rejeter les résultats.[3] La position de rejet de Kabila est bien connue. Le parti de Martin Fayulu, Engagement pour la citoyenneté et le développement, a, pour sa part, participé à l’enrôlement, mais il n’a pas présenté de candidats aux législatives nationales et provinciales, exigeant au préalable un audit indépendant du fichier électoral.[4] Les autres opposants, après avoir envisagé le boycott, ont finalement rejoint le processus en présentant des candidats aux législatives et se positionnent pour la présidentielle. Cette adhésion d’une partie de l’opposition au processus n’exclut cependant pas les risques liés à la contestation du processus et des résultats.[5] [1] Entretien de Crisis Group, cadre de la coalition Lamuka, Kinshasa, octobre 2022 ; hauts cadres du parti de Fayulu et proche de Matata à Kinshasa, novembre 2022, février 2023 et juillet 2023. Voir aussi : « La question du candidat commun ne se pose pas encore » (Martin Fayulu), dw.com, 29 septembre 2023. [2] Entretien téléphonique de Crisis Group, diplomate, septembre 2023. [3] Entretien de Crisis Group, chef de file de l’opposition, avril 2023. Martin Fayulu, « DR Congo is heading towards another sham election », Al Jazeera, 30 avril 2023. Voir aussi « Communiqué de presse du 29 mai 2023 », signé par Moïse Katumbi, Matata Ponyo, Martin Fayulu et Sessanga Hipungu, après la publication de la répartition provisoire des sièges au parlement par la Ceni. [4] « RDC : L’opposant Martin Fayulu boycotte le processus électoral », Agence Anadolu, 19 juin 2023. [5] Entretien de Crisis Group, opposant, Kinshasa, juillet 2023. III. Les zones à risque Les risques de violences avant, durant et après le scrutin à venir sont très élevés dans certaines zones dominées par l’insécurité ou des tensions politiques et sociales. Les régions orientales, en proie à la violence des groupes armés, notamment la province du Nord-Kivu partiellement sous occupation de la rébellion du M23, et les quatre provinces de la région du Katanga sont particulièrement menacées. A. Le M23 au Nord-Kivu : les menaces qui pèsent sur les élections Malgré l’accord de Sun City qui marquait en 2002 la fin officielle, mais pas effective, des guerres en RDC, l’est du pays est resté le bastion de plusieurs dizaines de groupes armés, ce qui met gravement en péril le processus électoral.[1] Ces groupes entretiennent souvent des liens avec des responsables politiques, qui peuvent les utiliser pour intimider des opposants ou des civils, ou comme monnaie d’échange dans des négociations politiques de toutes sortes.[2] Certains défendent un groupe ethnique particulier, d’autres sont originaires des pays voisins. Parmi ces derniers, certains sont soutenus par les gouvernements voisins, tandis que d’autres sont déterminés à les renverser, ce qui a donné lieu à une série de guerres par procuration qui durent depuis plus de vingt ans.[3] Kinshasa, dont l’armée a bénéficié de l’appui de certains groupes armés dans la guerre contre le M23, a voté en septembre 2023 une loi instituant la réserve armée de la défense, ce qui légalise la collaboration entre certains groupes armés « patriotes » et l’armée nationale.[4] Malgré une détermination affichée du président Tshisekedi, dès le début de son mandat, d’en finir avec l’insécurité à l’est – et l’instauration d’un « état de siège » en mai 2021 dans les provinces du Nord Kivu et de l’Ituri, où des militaires ont pris le contrôle de l’administration locale – la situation au Nord-Kivu s’est considérablement détériorée depuis. En novembre 2021, le M23 a repris ses activités militaires, dix ans après avoir été vaincu et contraint à l’exil en Ouganda et au Rwanda par l’armée congolaise, grâce à un appui robuste de la Brigade d’intervention de la mission de l’ONU (Monusco) et une pression politique venant des puissances occidentales et africaines. Très bien équipée et organisée, la rébellion a rapidement gagné du terrain sur l’armée congolaise. Selon le groupe d’experts des Nations unies, « Fin février 2023, le M23 contrôlait une zone deux fois plus grande que le territoire qu’il contrôlait au début de novembre 2022 ».[5] Mais elle a gardé le contrôle des vastes zones des territoires de Masisi et Rutshuru, au Nord-Kivu, malgré la présence de la force régionale des pays membres de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE). [1] Selon le coordonnateur du programme national de désarmement, 252 groupes armés locaux et quatorze groupes armés étrangers étaient actifs en avril 2023. Voir « RDC : le P-DDRCS dénombre 252 groupes armés locaux et 14 étrangers actifs dans cinq provinces de l’Est », actualite.cd, 19 avril 2023. Voir aussi les calculs du Baromètre sécuritaire du Kivu, www.kivusecurity.org. [2] Entretien de Crisis Group, expert de la société civile, Goma, mars 2023. [3] Voir les briefings de Crisis Group, Averting proxy wars in the eastern DR Congo and Great Lakes, janvier 2020, et Apaiser les tensions dans l’est de la RD Congo et Grands lacs, 25 mai 2022. Voir aussi Jason K. Stearns, The War that Doesn’t Say its Name, The Unending Conflict in the Congo, Princeton University Press, 2021. [4] « RDC : le gouvernement adopte le projet de décret relatif à la mise en œuvre de la loi portant institution de la réserve armée de la défense », actualite.cd, 3 septembre 2023. [5] « Rapport final du groupe d’experts sur la République démocratique du Congo », Groupe d’experts des Nations unies, juin 2023. La rapidité avec laquelle le [M23] s’est emparé des postes de douane et d’autres installations de l’Etat laisse penser qu’il pourrait avoir des intérêts financiers. Officiellement, le M23 affirme que ses actions visent à défendre les Tutsis congolais contre la discrimination et la persécution et à faire pression pour le retour des réfugiés tutsi congolais, mais il semblerait que cela ne soit pas ses seules visées.[1] La rapidité avec laquelle le groupe s’est emparé des postes de douane et d’autres installations de l’Etat laisse penser qu’il pourrait avoir des intérêts financiers. De nombreux analystes considèrent que les actions récentes menées par le M23 viseraient également à faire pression sur Kinshasa afin d’obtenir l’amnistie de ses dirigeants. Selon le Groupe d’experts des Nations unies, l’armée rwandaise aurait « mené certaines opérations et envoyé des renforts au M23 dans le but de s’emparer des zones stratégiques ou de les fortifier ».[2] Crisis Group a également recueilli des témoignages confirmant le soutien du Rwanda au M23.[3] La réémergence du M23 a eu plusieurs conséquences importantes. Tout d’abord, Kinshasa et Kigali se sont accusées mutuellement de soutenir des groupes armés hostiles, ce qui a conduit plusieurs organisations régionales à s’engager dans des efforts de médiation et à accélérer de nouveaux déploiements militaires.[4] La CAE, à laquelle Kinshasa a adhéré au début de l’année 2022, a déployé en novembre 2022 une force principalement basée au Nord-Kivu pour lutter contre des groupes armés, y compris le M23. La partie congolaise a critiqué ce qu’elle considère comme l’attitude passive de la force face à l’expansion du M23. Tshisekedi a ensuite invité, en mai 2023, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) à déployer sa propre force contre le M23, ajoutant à la cacophonie internationale autour de la crise au Nord-Kivu.[5] En septembre, les gouvernements membres de la SADC n’avaient pas encore déployé cette force et la CAE a prorogé de trois mois sa propre force.[6] En parallèle, les tentatives des pays voisins, notamment l’Angola, de relancer les pourparlers entre Kinshasa et Kigali, et éventuellement entre Kinshasa et le M23, sont au point mort. De surcroît, les tensions avec le Rwanda ont contribué à une atmosphère délétère qui favorise les accusations formulées à l’égard des soutiens présumés du Rwanda (voir section IV.C ci-dessous). La paranoïa sécuritaire qui en résulte pourrait même avoir contribué à des abus de grande envergure comme le massacre du 30 août à Goma mentionné plus haut.[7] La colère populaire n’épargne pas non plus le pouvoir à Kinshasa, considéré comme négligent face aux souffrances des populations de l’est.[8] La résurgence du M23 a également exacerbé les difficultés humanitaires et sociales. Selon les sources gouvernementales, la guerre contre le M23 aurait occasionné le déplacement de 2,39 millions de personnes, la destruction de 318 écoles, d’importantes pertes fiscales et d’autres dommages.[9] Cette guerre et les abus commis par le M23, majoritairement constitué de membres de la communauté tutsi, accroissent par ailleurs les tensions entre les différentes communautés congolaises, en particulier en période électorale (voir section IV.C ci-dessous).[10] Les femmes sont les plus exposées à ces abus, particulièrement dans les camps de déplacés, où elles sont généralement majoritaires et, pour la plupart, seules à veiller à subvenir aux besoins de leurs familles. Dans cette région, où les femmes endurent depuis de nombreuses décennies les violences récurrentes et cycliques infligées par des hommes armés, le simple fait de quitter le camp constitue une menace.[11] Les violences à l’égard des femmes et des jeunes filles dans le Nord-Kivu ont augmenté de 37 pour cent pendant le premier trimestre de 2023 par rapport à la même période en 2022.[12] Cette vulnérabilité croissante risque également de freiner leur engagement dans le processus électoral, surtout si les bureaux de vote sont trop éloignés de leurs domiciles. Finalement, les activités du M23 ont eu un impact direct sur la préparation des élections. Depuis que le groupe s’est emparé d’une grande partie du Nord-Kivu en 2022, il a mis en place une administration parallèle et bloqué toute activité de la Ceni. Selon certains, le M23 a tenté de troquer l’enrôlement d’électeurs dans les régions sous son contrôle contre des négociations directes avec Kinshasa, ce dont Kinshasa n’a pas voulu entendre parler, du moins pour l’instant, ou contre le rapatriement et l’enrôlement électoral des familles des combattants du M23 aujourd’hui en exil au Rwanda et en Ouganda.[13] [1] Entretien de Crisis Group, porte-parole du M23, août 2022. Voir la déclaration de Crisis Group, Privilégier la diplomatie régionale en RD Congo alors que le M23 encercle Goma, 30 novembre 2022. Pour plus de détails sur le M23, voir Jason Stearns, « Du CNDP au M23 », Rift Valley Institute, 2012. [2] « Rapport final du groupe d’experts sur la République démocratique du Congo », Groupe d’experts des Nations unies, juin 2023, op. cit. [3] Entretiens de Crisis Group, Rwandais ayant connaissance directe du recrutement des Rwandais au sein du M23 sur le territoire rwandais, juin 2023, et diplomates, 2022-2023. [4] Commentaire de Crisis Group, Dangereuse escalade dans les Grands Lacs, 27 janvier 2023. [5] « Face au M23, la force régionale de la SADC déployée en septembre ? », Jeune Afrique, 17 juillet 2023. [6] « 22nd Extra-Ordinary Summit of the East African Community Heads of State Communiqué », EAC, septembre 2023. [7] Commentaire de Crisis Group, « Le massacre de Goma assombrit la perspective des élections en RD Congo et l’avenir de la mission de l’ONU », 15 septembre 2023. [8] Voir la polémique autour des propos d’un responsable congolais devant des investisseurs internationaux, affirmant qu’il n’y a pas de guerre en RDC, « Les propos tenus par le patron de l'IGF Jules Alingete à Houston créent la polémique en RDC », RFI, 29 avril 2022. [9] « La RDC présente son nouveau “livre blanc” sur “l'ampleur de la catastrophe” dans l’est du pays », RFI, 15 septembre 2023. [10] Crisis Group a été témoin à Goma de cas de stigmatisation et d’exclusion des candidats à l’enrôlement, soupçonnés d’être rwandais ou tutsi. [11] Sophie Neiman, « Sexual violence plagues women displaced by DR Congo’s M23 conflict », The New Humanitarian, 12 July 2023. « RDC : MSF alerte sur le nombre alarmant de victimes de violences sexuelles dans les sites de déplacés autour de Goma», Médecins Sans Frontières, 18 mai 2023. [12] « UNICEF calls for urgent action to respond to alarming levels of increasing sexual violence against girls and women in eastern DRC », Unicef, communiqué de presse, 18 mai 2023. [13] Entretiens de Crisis Group, notable du Nord-Kivu, Kinshasa, février 2023. Les conditions pour les élections dans l’est de la RDC sont loin d’être réunies. Les conditions pour les élections dans l’est de la RDC sont loin d’être réunies. La Ceni a néanmoins procédé à l’inscription des électeurs du Nord-Kivu à partir de la mi-février 2023 mais celle-ci s’est clôturée avant d’être achevée.[1] Malgré deux prolongations de la période d’inscription et les efforts d’enrôlement des électeurs dans les camps de déplacés, plus d’un million de personnes en âge de voter, majoritairement au Nord-Kivu, n’avaient pas été inscrites en avril, au moment de la clôture des inscriptions. Face à ce problème, la Ceni a proposé de réserver à ces circonscriptions le même nombre de sièges qu’en 2018 et de les attribuer à l’issue des législatives, probablement différées en 2024.[2] Toutefois, différer trop longtemps ces élections au Nord-Kivu aurait un impact considérable, car ni l’Assemblée provinciale, ni l’Assemblée nationale, ni le Sénat ne seraient pleinement constituées. Les affrontements se poursuivent et s’intensifient entre le gouvernement et les groupes armés depuis le 30 août, après que des éléments de la Garde républicaine, l’unité d’élite de l’armée chargée de la protection du chef de l’Etat, ont massacré plus de cinquante membres d’une secte messianique à Goma.[3] Le gouverneur militaire de la province a été limogé quinze jours après le massacre.[4] La nomination d’un nouveau gouverneur militaire de la province correspond avec la mobilisation des miliciens locaux, qui forment une coalition disparate dite des « Wazalendo » (les patriotes) contre le M23.[5] Après d’intenses combats engagés le 1er octobre, plusieurs zones des territoires de Masisi et de Rutshuru passent successivement sous le contrôle des différents belligérants, et l’armée commence à se redéployer dans certaines d’entre elles.[6] Les succès obtenus par les Wazalendo sur certains fronts militaires pourraient pousser l’armée et ses auxiliaires locaux à intensifier les combats dans l’objectif de chasser le M23 des zones qui sont encore sous son contrôle et d’y organiser l’enrôlement et les élections en décembre, comme l’a déclaré à New York le ministre des Affaires étrangères.[7] Une éventuelle victoire contre cette rébellion serait un important gain politique et électoral pour Tshisekedi dans cette partie du pays où sa popularité a longtemps souffert de son inefficacité à réduire l’insécurité. Les Wazalendo ont d’ailleurs invité la Ceni à commencer l’enrôlement des électeurs dans les zones de Masisi déjà reconquises alors que la situation y demeure fluctuante.[8] Cependant l’entreprise est fort risquée, et une relance des opérations d’enrôlement semble pour le moment peu probable car les premières offensives ont déjà aggravé les conditions humanitaires dans cette zone instable, avec notamment plusieurs morts parmi les civils, des incendies de villages et d’importants déplacements de populations.[9] Les affrontements pourraient également s’amplifier et s’étendre à des zones jusque-là épargnées comme la ville de Goma, et compromettre le processus électoral au Nord-Kivu en augmentant considérablement le nombre de personnes privées de leur droit de vote. Il est également possible que le M23 se renforce et garde la haute main sur le territoire de Rutshuru dans un scenario où les combats s’intensifient sans donner de victoire finale à Kinshasa. Les Rwandais pourraient aussi être amenés à venir en renfort à leur allié. [1] Selon les statistiques de la Ceni, le Nord-Kivu compte 3 026 907 électeurs, sans les territoires de Masisi et Rutshuru non enrôlés, voir le communiqué de presse n°24/CENI/2023. [2] « Avant-projet de loi portant adoption de la répartition des sièges par circonscription électorale pour les élections législatives, provinciales, municipales et locales », Ceni, mai 2023. [3] Commentaire de Crisis Group, « Le massacre de Goma assombrit la perspective des élections en RD Congo et l’avenir de la mission de l’ONU », 15 septembre 2023. [4] « RDC: Constant Ndima écarté, Peter Cirimwami nommé commandant des opérations des FARDC au Nord-Kivu », Politico.cd, 17 septembre 2023. [5] « M23 en RDC : dix choses à savoir sur Peter Cirimwami, nouveau gouverneur du Nord-Kivu », Jeune Afrique, 19 octobre 2023. [6] « RDC : des combats entre le M23 et les milices Wazalendo signalés dans le Masisi », RFI, 6 octobre 2023. [7] « Le gouvernement déclenche le compte à rebours pour libérer les zones sous contrôle du M23 », Breve.cd, 23 septembre 2023. [8] « RDC : les Wazalendo appellent à commencer l’enrôlement de la population », TV5 Monde, 12 octobre 2023. [9] « RDC : près de 85 000 personnes contraintes de fuir suite à un regain des violences au Nord-Kivu », ONU Info, 9 octobre 2023. B. L’ancienne province du Katanga : tensions ethno-politiques Le poids politique et économique de l’ancienne province du Katanga, divisée en quatre provinces en 2015 – Haut-Katanga, Haut-Lomami, Lualaba et Tanganyika – en fait un pôle majeur de la politique nationale, en concurrence avec la capitale Kinshasa. Les statistiques de la Ceni, font état de 6 705 133 électeurs dans l’ancienne province du Katanga, dont 2 804 173 pour la seule province du Haut-Katanga, sur un total national de 43 955 181 électeurs.[1] Le Katanga est aussi le fief de plusieurs acteurs politiques d’envergure nationale comme l’ancien président Kabila, l’ancien gouverneur Katumbi ou encore dans une moindre mesure, l’ancien bâtonnier Jean-Claude Muyambo, qui se disputent la représentation de la région au niveau national. Le Katanga est également une terre de migration économique interne, ce qui crée des tensions, en particulier entre Katangais et Kasaïens. La région est connue pour ses immenses ressources minières qui constituent le fleuron de l’économie du pays, puisque les recettes d’exportation reposent à 80 pour cent sur le secteur minier. La prospérité de cette région en a fait, depuis l’époque coloniale, un pôle de migration attrayant. Aujourd’hui encore, le Katanga attire des milliers de personnes, et principalement les populations du Kasaï, un autre espace minier dont les sols regorgeaient de diamant et aujourd’hui en faillite. Cette migration des Kasaïens suscite cependant des tensions qui dégénèrent parfois en affrontements sur fond de rivalités pour l’emploi ou pour l’accès et le contrôle du pouvoir local et national.[2] En 2015, Joseph Kabila entérine le découpage de la province du Katanga en quatre nouvelles provinces, ce qui donne progressivement lieu à de nouveaux types de rivalités notamment entre les assemblées et les exécutifs provinciaux. Selon certains, y compris Moïse Katumbi, qui fut le gouverneur du Katanga jusqu’à son démembrement, cette politique visait à affaiblir la province.[3] En effet, la création de nouvelles provinces a redistribué les cartes. Sur les quatre gouverneurs, tous élus de l’alliance politique de Kabila en 2019, deux ont rejoint la nouvelle majorité alors que les deux autres, restés fidèles à Kabila, ont perdu leurs postes au profit des candidats de l’Union sacrée de Tshisekedi après 2020.[4] Cette instabilité au sommet des jeunes entités, souvent sur base des rivalités politico-ethniques, a exacerbé les tensions entre les pro-Kabila qui ont progressivement été dépourvus de leurs pouvoirs et les pro-Tshisekedi, nouvellement promus. [1] « Communiqué de presse n°024/Ceni/2023, Ceni, 22 mai 2023. Selon l’avant-projet de loi de répartition des sièges de la Ceni (2023), l’ex-Katanga représente 73 sièges sur 500, dont 31 pour la seule ville de Lubumbashi contre 56 pour la ville-province de Kinshasa. [2] « RDC: l’exode des Kasaïens inquiète les Katangais », La Libre Afrique, 18 mai 2021. [3] Entretien de Crisis Group, responsable politique congolais, Bruxelles, mai 2019. Voir également, « RD Congo : dangereuse guerre d’influence dans l’ex-Katanga », commentaire de Crisis Group, 2 juin 2017. [4] Les gouverneurs Zoé Kabila du Tanganyika et Richard Muyej du Lualaba ont perdu leurs postes respectivement en mai et en septembre 2021. Au Katanga, les tensions intercommunautaires entre Kasaïens et Katangais pourraient s’exacerber en cas de suspicions de manipulation des votes. Au Katanga, les tensions intercommunautaires entre Kasaïens et Katangais pourraient s’exacerber en cas de suspicions de manipulation des votes. Au cours de l’enrôlement des électeurs, plusieurs observateurs ont dénoncé des manœuvres de la Ceni susceptibles de favoriser Tshisekedi. Ils l’accusent notamment d’avoir gonflé le nombre d’électeurs potentiels du Kasaï, le fief de l’actuel président, et de ne pas avoir réparti les kits électoraux équitablement. La Ceni a rejeté ces allégations et promis de nettoyer le fichier de toute éventuelle irrégularité. Mais l’audit du fichier électoral par une commission d’experts controversés n’a pas atténué la méfiance ; il a poussé certains opposants à envisager de boycotter la suite du processus, et pourrait conduire à une contestation des résultats.[1] Finalement, seul le camp pro-Kabila ne participe pas au processus. Les enjeux locaux sont également source de crispations au Katanga. Les prochaines joutes électorales opposeront d’une part, les figures de l’ère Kabila, parmi lesquelles les rares derniers fidèles de l’ancien président, ainsi que les alliés de Katumbi, perçus comme « pro-Katangais » et, d’autre part, les alliés de Tshisekedi, considérés comme « pro-Kasaïens ».[2] À Lubumbashi (Haut-Katanga) en particulier, certains responsables politiques craignent que l’afflux important de Kasaïens ne renverse les rapports démographiques, entraînant un bouleversement des rapports politiques. Une élection massive de Kasaïens au parlement provincial pourrait, en effet, mener à l’élection d’un gouverneur de cette communauté à la tête de la province – le gouverneur étant élu au scrutin indirect par les députés provinciaux – un scénario d’autant plus redouté qu’il n’est pas improbable.[3] Certaines personnalités et partis politiques pro-Tshisekedi, conscients de ces dynamiques, auraient organisé des déplacements de population du Kasaï vers le Katanga lors de l’enrôlement des électeurs.[4] La coloration politique des forces de sécurité pourrait également avoir des conséquences particulièrement néfastes au Katanga. Elles sont perçues non seulement comme faisant partie d’un appareil répressif au service du gouvernement, mais aussi comme étant composées d’une proportion croissante de proches de Tshisekedi ou de ressortissants de sa région du Kasaï. Cette perception est notamment alimentée par l’usage de plus en plus répandu du tshiluba, l’une des quatre langues nationales, parlée principalement au Kasaï, au sein de la Garde républicaine.[5] Le poids politique des Kasaïens étant déjà un sujet sensible dans l’ex-Katanga, des tactiques musclées augmenteraient les risques de troubles et de violences au cours de la période électorale. À ces tensions et rivalités pour des enjeux nationaux s’ajoutent celles qui existent entre les quatre provinces issues du démembrement de 2015. Les quatre provinces ont des ressources différentes. Les provinces de Lualaba et Tanganyika reposent principalement sur des ressources agricoles, le Haut-Katanga est l’ancien centre de pouvoir et le Haut-Lomami concentre de plus en plus les activités minières de la région. Toutes ces provinces sont en compétition pour attirer des investissements et des financements de l’Etat.[6] Lors du scrutin présidentiel, Tshisekedi bénéficiera certainement de l’avantage du président sortant, jouissant des moyens de l’Etat et de l’appui de ses alliés de l’Union sacrée, mais sa victoire dans l’espace katangais ne sera pas aisée. Il fera face à des candidats comme Katumbi, qui reste un adversaire de taille même si certains affirment qu’il a perdu du terrain après sa démission du gouvernorat.[7] Les élections législatives et provinciales seront d’autant plus ardues pour le président sortant que le parti UDPS n’est pas populaire au Katanga.[8] [1] « RDC-Élection 2023 : Mgr Nshole sonne l’alarme sur la méfiance envers la Ceni risquant de déclencher une révolution », linterview.cd, 29 août 2023. [2] Face aux figures tutélaires de la politique katangaise que sont Kabila et Katumbi, d’autres ont émergé dans le sillage de Tshisekedi, dont le Premier ministre Sama Lukonde, originaire du Lualaba ; Guylain Nyembo, le directeur du cabinet présidentiel, originaire du Tanganyika ; ou encore Dany Banza, député national élu dans le Haut-Katanga et ambassadeur itinérant du président. [3] Entretien de Crisis Group, notable du Katanga, Lubumbashi, février 2022. [4] Entretien téléphonique de Crisis Group, chercheur expert, Lubumbashi, mai 2023. [5] Entretiens de Crisis Group, résidents, Goma, région de Goma, février 2022-juillet 2023. Entretien de Crisis Group, expert, journaliste, Katanga, mai 2023. [6] Entretien de Crisis Group, analyste du Katanga, juin 2023. [7] Entretiens téléphoniques de Crisis Group, experts en sécurité de la région Katanga, mai 2023. [8] Entretiens de Crisis Group, expert de la société civile, Lubumbashi, février 2022. Or, des résultats [aux élections] très serrés augmenteraient les risques d’affrontements entre les jeunes partisans, souvent organisés selon des affinités ethniques. Or, des résultats très serrés augmenteraient les risques d’affrontements entre les jeunes partisans, souvent organisés selon des affinités ethniques, dans les centres urbains comme Lubumbashi. En décembre 2022, des conducteurs des taxis-motos, communément appelés « wewa », assimilés aux Kasaïens et proches de l’UDPS se sont déjà affrontés aux jeunes du parti Union nationale des fédéralistes du Congo (Unafec) considérés comme katangais.[1] Le 3 juillet 2023, de nouveaux affrontements violents ont éclaté entre jeunes militants de l’UDPS et de l’Unafec, au sujet de la perception de taxes illégales dans un parking de la ville. Alors que Tshisekedi doit faire face à l’opposant Moïse Katumbi dans les urnes et composer avec le boycott de son prédécesseur Kabila, la violente sortie du général John Numbi contre le chef de l’Etat le 7 octobre est venue rappeler la complexité du Katanga où les enjeux politiques et sécuritaires sont inextricables. L’ancien inspecteur général de la police nationale, proche de Joseph Kabila et originaire du Haut-Lomami, poursuivi par la justice militaire pour son implication dans l’assassinat de l’activiste de la société civile Floribert Cebeya et sous sanctions américaines, européennes et onusiennes, s’est exilé au Zimbabwe en 2021, d’où Kinshasa a tenté, en vain, de le faire extrader. Dans une vidéo, le général s’en prend à Tshisekedi, qu’il accuse pêle-mêle d’avoir perdu toute légitimité, de préparer une « tricherie à grande échelle » lors des élections à venir, et appelle l’armée à la sédition contre le président.[2] Même si le gouvernement a tenté de minimiser la menace, il est possible que les propos dangereux de Numbi résonnent au sein de l’élite sécuritaire proche de Kabila, portée par un sentiment de trahison à la suite des négociations de 2019 qui ont porté Tshisekedi au pouvoir.[3] Après avoir été aux avant-postes au sein de l’armée et des services de sécurité sous les régimes successifs des Kabila, cette élite dont les principaux représentants sont soit en prison soit en exil fait désormais profil bas et pourrait nourrir des projets de revanche. Tshisekedi semble avoir pris la mesure du risque. Le 19 octobre, il a nommé l’ancien-colonel Eddy Kapend, promu au grade de général de brigade, commandant de la Région militaire correspondant à l’ex-Katanga. Après vingt ans de prison sous Joseph Kabila pour son implication présumée dans l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila en 2001, cet officier originaire du Lualaba avait bénéficié de la grâce présidentielle de Tshisekedi.[4] Cette réhabilitation au sein de l’armée et à un poste de premier plan résonne à la fois comme une réponse aux propos de Numbi, nostalgique de Kabila et un signe de rapprochement de Tshisekedi avec le clan katangais au sein de l’armée. [1] « Lubumbashi : affrontements entre jeunes de l’UDPS et de l’UNAFEC, paralysie des activités économiques », actualité.cd, 5 décembre 2022. [2] « Quand John Numbi menace Félix Tshisekedi de “lui reprendre le pouvoir” », Jeune Afrique, 10 octobre 2023. [3] « La réponse du gouvernement à John Numbi : “Lorsqu’on pense être un héros, on ne devrait pas se soustraire à la justice de son pays ni prendre la fuite” », actualite.cd, 10 octobre 2023. [4] « RDC : libération d’Eddy Kapend, condamné dans l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila », RFI, 08 janvier 2021. IV. Vers les élections de 2023 et 2024 : les tensions montent À l’approche des élections présidentielles et parlementaires, certains risques se concrétisent. Bien qu’ils y aient majoritairement souscrit, les opposants restent méfiants à l’égard de l’ensemble du processus électoral. Le gouvernement limite des libertés publiques, cruciales pour un bon déroulement de la campagne électorale et les discours incendiaires antagonisent les communautés, ce qui multiplie les risques d’incidents. De surcroît, certains observateurs bien informés considèrent que, vu les problèmes logistiques et politiques dont souffre la Ceni, il est possible que celle-ci déclare un report des élections.[1] Même si ce scenario ne paraît pas le plus probable, il pourrait fortement perturber les préparatifs, et même ouvrir la voie à des contestations politiques si l’opposition dénonce un processus devenu trop chaotique. Les gouvernements occidentaux gardent une influence et leur positionnement pourrait contribuer à soutenir les observateurs nationaux et à réduire la fraude électorale et les abus de pouvoir, or ils se sont peu exprimés publiquement sur les faiblesses de la préparation des élections. Lors des derniers mois, ils se sont contentés d’appeler occasionnellement à un processus inclusif et au respect des libertés lors de la campagne électorale.[2] Leur silence relatif est dû en grande partie au fait que, contrairement aux élections en 2006 et 2011, les autorités congolaises n’ont pas demandé de financement international. Sans voix au chapitre, les acteurs internationaux ont du mal à critiquer en détail l’approche de la Ceni.[3] De plus, conscients que les retards des élections ont conduit à une crise nationale entre 2016 et 2018, certains acteurs internationaux sont soulagés que les autorités électorales respectent le calendrier. Ils sont, de ce fait, prêts à fermer les yeux sur certaines faiblesses des préparatifs électoraux, que l’opposition et la société civile congolaise ont pourtant dénoncées. [1] Entretiens de Crisis Group, diplomate, expert juriste, par téléphone, septembre et octobre 2023. Voir aussi « Denis Kadima : Le glissement ne fait toujours pas partie de notre vocabulaire », Radio Okapi, 25 septembre 2023. [2] « Déclaration conjointe des ambassades des Etats-Unis, d’Allemagne, de Belgique, du Canada, d’Espagne, de France, de Grèce, d’Italie, du Japon, de Norvège, des Pays-Bas, du Portugal, du Royaume-Uni, de Suède, de Suisse, de République tchèque, et de la délégation de l’Union européenne », 2 juin 2023. Entretiens et entretiens téléphoniques de Crisis Group, diplomates, Londres, Bruxelles, Kinshasa, Nairobi, 2022 et 2023. [3] Entretien de Crisis Group, diplomates, Bruxelles, mai 2023. Les acteurs africains ... ne se sont pas positionnés clairement au sujet de ces préparatifs [des élections]. Les acteurs africains, notamment l’Union africaine (UA) et ses Etats membres, qui ont pourtant joué un rôle crucial dans la médiation de la crise de 2018-2019, ne se sont pas positionnés clairement au sujet de ces préparatifs. Leur attention est en grande partie captée par leurs activités diplomatiques visant à résoudre la crise dans l’est du pays, où la coordination de leurs efforts s’avère difficile, entraînant une cacophonie diplomatique. Dans ce contexte, il est légitime de douter qu’ils puissent parvenir à un consensus sur la manière de soutenir le processus électoral à Kinshasa. Certains diplomates craignent que cette situation n’affaiblisse les efforts internationaux si une médiation post-électorale s’avérait nécessaire.[1] Les acteurs congolais eux-mêmes expriment des attentes ambivalentes à l’égard de leurs partenaires internationaux. Tant le gouvernement que l’opposition se méfient d’être considérés comme trop proches des puissances extérieures. Même si le gouvernement a jusque-là affirmé son ouverture à une observation internationale des élections, ses relations parfois ambivalentes avec les puissances occidentales pourraient entraver une telle observation.[2] Cependant, les acteurs internationaux, en particulier les Nations unies, mais aussi les puissances africaines et l’UA, ont joué un rôle important en parrainant des accords de paix et en soutenant la stabilisation depuis la fin des guerres régionales au début des années 2000. De même, ils ont joué un rôle important à la fois dans l’organisation des élections successives, et dans la gestion des crises liées aux scrutins. Par conséquent, de nombreux Congolais, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, considèrent que les partenaires internationaux ont un rôle essentiel à jouer dans les affaires du pays. [1] Entretien téléphonique de Crisis Group, diplomate, mai 2023. [2] Entretiens de Crisis Group, diplomate, Kinshasa, juillet 2023 ; expert juriste, Kinshasa, par téléphone octobre 2023 et voir “ Sans accréditation pour son ambassadeur, l'Union européenne en délicatesse à Kinshasa” Africa Intelligence, 13 octobre 2023. A. Les raisons d’un manque de confiance et de consensus La coalition au pouvoir et les organes techniques tels que la Ceni ne disposent pas de la confiance nécessaire pour garantir un processus électoral sans heurts et des résultats électoraux acceptés. L’opposition est convaincue que la Ceni et le gouvernement ont imposé un processus qui favorise largement les chances de réélection de la majorité au pouvoir. Le dernier exemple en date est celui de l’enrôlement très controversé des électeurs et l’incapacité de la Ceni à réaliser un audit adéquat des listes électorales qui en résultent. En outre, la Ceni est minée par des dissensions politiques entre ses membres, ce qui ne contribue pas à renforcer sa crédibilité.[1] La plupart des questions qui ont fait débat et contribué à ébranler la confiance à l’égard du processus électoral, notamment celle de la composition de la Cour constitutionnelle, pourraient revenir au premier plan lorsque le vote aura lieu et que les résultats seront annoncés, probablement en décembre et janvier. Les observateurs nationaux, qui en 2019 ont fourni des preuves de fraude dans la compilation des résultats, pourraient à nouveau jouer un rôle crucial. [1] Entretien téléphonique de Crisis Group, diplomate, octobre 2023 ; « Présidentielle en RDC : l’ANR convoque huit conseillers de Denis Kadima, le patron de la Ceni », Jeune Afrique, 10 octobre 2023. Le manque de confiance envers le gouvernement s’explique ... par des préparatifs électoraux jalonnés ... de réformes avortées ou non consensuelles. Le manque de confiance envers le gouvernement s’explique en partie par des préparatifs électoraux jalonnés, depuis plusieurs années, de réformes avortées ou non consensuelles et de changements institutionnels et politiques réguliers. Après les cycles d’élections controversées et souvent violemment contestées de 2006, 2011 et 2018, Tshisekedi a affiché, dès son entrée en fonction, sa volonté d’améliorer le système électoral.[1] Il a d’abord envisagé des réformes telles que le retour au scrutin présidentiel à deux tours, visant à donner au président élu une plus grande légitimité populaire, et l’élection des sénateurs et des gouverneurs au suffrage universel direct, afin de rendre plus difficile l’achat de voix.[2] Tshisekedi a néanmoins vite abandonné ces réformes, jugées trop hasardeuses par son propre camp. Il a ensuite entamé une série de réformes de la loi et des institutions électorales. Mais, sous la pression de son alliance politique, ces réformes n’ont pas abouti à la mise en place d’un cadre électoral plus équilibré et plus largement accepté, et n’ont donc pas permis de dégager un consensus avec l’opposition ou la société civile.[3] En 2020, Tshisekedi a lancé le chantier de recomposition de la Cour constitutionnelle, organe chargé de confirmer les résultats des élections et d’examiner les contentieux électoraux, jusque-là composé des fidèles de l’ancien président Kabila. Entre 2020 et 2022, Tshisekedi entreprend une série de mutations et de nominations parmi les neuf juges de cette cour. Ces procédures ont été engagées sans motif officiel et certaines ont été contestées à la fois par les juges écartés – qui ont dénoncé un « fait accompli anticonstitutionnel » –, par des experts et par l’opposition.[4] Malgré ces contestations, Tshisekedi parvient en 2022 à ce que la cour soit composée en grande partie de juges qui sont réputés lui être proches, une allégation que les concernés réfutent.[5] La Ceni fait également l’objet de vives critiques de la part de la société civile et de l’opposition. Sa composition ne reflète pas l’équilibre des forces politiques, l’opposition n’ayant pas délégué de commissaires. Selon la loi, la commission devrait être composée de six représentants de la coalition majoritaire, de cinq représentants de la société civile et de quatre représentants de l’opposition. Les représentants de l’opposition qui siègent à la Ceni ont été nommés en 2021, lors de débats parlementaires boycottés par l’opposition et dont elle conteste les conclusions. Néanmoins, ces commissaires sont toujours en place. Le chef de la commission, et la manière dont il a été nommé sont également très controversés. Bien qu'il fasse partie de la composante « confessions religieuses » des représentants de la société civile, comme le prévoit la loi, les églises protestantes et catholiques ont vivement contesté la nomination de Denis Kadima, candidat de l’église kimbanguiste, jugé trop proche du pouvoir, en octobre 2021.[6] Certains opposants dénoncent également cette proximité de Kadima avec le gouvernement, même si d’autres ont reconnu ses compétences en matière de gestion des élections. Kadima rejette ces allégations.[7] [1] Président Tshisekedi, « Discours sur l’Etat de la nation », 13 décembre 2019. En 2007, la compétition entre le sortant Kabila et l’opposant Jean-Pierre Bemba s’était soldée par des combats entre leurs gardes rapprochées en plein centre de Kinshasa. En 2011 et 2018, les opposants au président sortant, respectivement Etienne Tshisekedi et Martin Fayulu, avaient dénoncé de graves irrégularités et s’étaient autoproclamés présidents élus. « RDC : Joseph Kabila déclaré élu, Tshisekedi se proclame président », Le Point, 10 décembre 2011 ; « RDC : Martin Fayulu s’autoproclame “ seul président légitime ” » du pays », Jeune Afrique, 20 janvier 2019. [2] Joseph Kabila a instauré l’élection présidentielle à un tour en 2011 après avoir fait adopter une révision de la constitution. [3] Pour l’ensemble des propositions faites à cette époque, voir « Élections à l’ère de Tshisekedi – un mauvais départ ? », Groupe d’étude sur le Congo et Ebuteli, octobre 2022 et « Élections de 2023 en République démocratique du Congo : rectifier les erreurs du passé pour consolider la démocratie », Réseau européen pour l’Afrique centrale, 2022. Les modifications apportées à la loi électorale comprennent également l'introduction de mesures incitatives visant à renforcer la participation des femmes à la vie politique, telles que l'exonération des frais de caution pour les listes électorales comptant au moins 50 pour cent de femmes dans une circonscription. [4] Tshisekedi n’aurait pas respecté la durée des mandats de certains juges avant de passer à leur remplacement. Entretien de Crisis Group, expert électoral à Kinshasa, février 2023. Voir aussi « RDC : Thambwe Mwamba et Jeanine Mabunda boycottent la prestation de serment de nouveaux juges constitutionnels », Radiookapi.net, 20 octobre 2020 et « RDC : les juges Kilomba et Ubulu refusent de quitter leur siège à la cour constitutionnelle », RFI, 5 août 2020. [5] Par exemple, le président de la cour, Dieudonné Kamuleta, même s’il admet provenir de la même province que le chef de l’Etat, nie toute proximité avec Tshisekedi. « Dieudonné Kamuleta : Je ne suis pas proche de Félix Tshisekedi », Jeune Afrique, 19 mai 2023. [6] Entretien de Crisis Group, expert électoral, Kinshasa, février 2023. [7] Kadima est originaire de la même région que Tshisekedi et s'est associé à son parti quand ce dernier était dans l'opposition. D’autres ont reconnu ses compétences en matière de gestion des élections. Entretien de Crisis Group, expert électoral international, Kinshasa, février 2023. « RDC : qui est Denis Kadima, le nouveau président de la commission électorale ? », RFI, 24 octobre 2022. « Denis Kadima, le maître du temps en RDC », Jeune Afrique, 4 avril 2023. [Le] monnayage illégal de l’enrôlement a donné lieu à des situations extrêmes, y compris à des meurtres. Finalement, le gouvernement et la Ceni se sont régulièrement opposés sur la question du financement de la commission électorale, ce qui a encore entamé sa crédibilité aux yeux de l’opposition et de la société civile.[1] L’opposition et les groupes d’observateurs de la société civile nationale ont dénoncé l’absence d’informations financières détaillées concernant les opérations de la Ceni. Ils ont souligné que la Ceni n’avait pas publié son budget et que les détails de décaissement n’avaient fait l’objet d’aucun débat au Parlement.[2] Du fait des décaissements tardifs du gouvernement, la Ceni n’a pas été en mesure de rémunérer à temps des agents électoraux et de sécurité temporaires commis aux bureaux d’enregistrement. Cela a conduit certains d’entre eux à recourir à la pratique pourtant formellement interdite de « monnayage » de l’enrôlement, empêchant ainsi des citoyens qui n’étaient pas en mesure de payer de s’enrôler.[3] Ce monnayage illégal de l’enrôlement a donné lieu à des situations extrêmes, y compris à des meurtres.[4] Alors que le calendrier électoral publié en novembre 2022 faisait l’objet de nombreuses contestations, la Ceni a entamé en février 2023 la phase finale des préparatifs électoraux, à savoir l’enrôlement des électeurs dans les trois zones électorales ainsi que dans certains pays étrangers.[5] L’enrôlement a pris fin en avril 2023, après des retards dus à des difficultés techniques et en dépit des irrégularités dénoncées par l’opposition. Celle-ci a notamment dénoncé la distribution inégale des kits d’enrôlement – qui pénalisait, selon elle, les fiefs des opposants –, l’enregistrement des mineurs dans les zones favorables au pouvoir, le non-fonctionnement des machines, les cartes d’électeurs de piètre qualité, l’inexistence de certains centres d’enrôlement et la possession de cartes d’électeurs vierges par des proches du régime.[6] Des observateurs indépendants comme ceux des églises ont confirmé et rapporté à la Ceni certains de ces griefs.[7] L’audit externe du fichier, qui aurait pu dissiper cette méfiance, a semé encore davantage le doute. L’Organisation internationale de la francophonie (OIF), partenaire habituel de la Ceni pour cet exercice, avait initialement été invitée à mener cette mission mais elle y a renoncé, considérant que le délai d’exécution de cinq jours était trop court.[8] En réponse, la Ceni a opté pour une équipe mixte d’experts recrutée sur candidature. En cinq jours, ceux-ci ont réalisé l’audit, dont les résultats n’ont jamais été rendus publics, et le 21 mai la commission a publié les nouveaux chiffres d’électeurs. Cet audit a ensuite servi à l’élaboration de la loi sur la répartition des sièges que Tshisekedi a promulguée le 15 juin. L’opposition conteste toujours cet audit qu’elle considère comme une tentative de fraude, et la mission d’observation des églises a alerté sur les conséquences négatives de la décision de la Ceni.[9] [1] Alors que le gouvernement a accusé la Ceni de surfacturation et de corruption, le directeur de la Ceni a rétorqué que le gouvernement n'avait pas compris l'ampleur et le coût de l'opération électorale et que les retards de décaissement du gouvernement avaient gonflé les coûts « Denis Kadima : J’ai hâte d’en finir avec ces élections », Jeune Afrique, 15 mai 2023. « Élections en RDC : alors que la Ceni exige plus d’un milliard USD, l’Odep estime que le budget actuel ne devrait pas dépasser 600 millions USD », Desk Eco., 23 mars 2023. [2]Entretiens de Crisis Group, des responsables de l'opposition, de la Société civile (Cenco) et des experts électoraux, Kinshasa, février 2022 et août 2023. Voir aussi « RDC : à six mois des élections, l’opposition considère que le fichier électoral est “fantaisiste” », Le Monde, 19 juin 2023 ; « RDC/CENI : dépassement budgétaire, opacité des décaissements effectués pour les opérations électorales..., l'ODEP déplore le manque de transparence », actualité.cd, 27 décembre 2022 ; « Le CNPAV exige de la CENI et du gouvernement plus de transparence dans la gestion des fonds électoraux », actualité.cd, 11 octobre 2023. [3] Entretien de Crisis Group, candidat à l’enrôlement, Goma, mai 2023. Entretiens téléphoniques de Crisis Group, figure religieuse engagée dans l’observation du processus électoral, expert de la politique du Katanga, mai 2023. Parmi de multiples communiqués et rapports des observateurs, voir notamment, « CENCO-ECC Rapport final de l’Observation de Operations d’Identification et d’Enrôlement », mission d’observation électorale, mai 2023. [4] Le 6 avril, un policier a tué par balles un jeune dans le centre de Byahi (Goma) qui n’avait pas réuni le montant de 5 000 francs congolais (2,12 dollars) convenu pour lui donner l’accès au bureau. Entretien de Crisis Group, acteurs de la société civile, Goma, mars 2023. [5] Entretiens de Crisis Group, acteurs politiques, Kinshasa, février 2023. Voir aussi « Calendrier électoral de la Ceni : “utopique” pour le PPRD, “réaliste” selon l’UDPS », Radio Okapi, 28 novembre 2022. [6] Entretien de Crisis Group, chef de file de l’opposition, avril 2023. Voir aussi: « En RDC, un processus d’enrôlement semé d’embûches », Jeune Afrique, 6 mars 2023. [7] Dans l’ensemble, ces problèmes liés au processus d’enrôlement semblent avoir été relativement importants sur l’ensemble du territoire national. La Ceni les a pourtant minimisé en les niant ou en les attribuant à de petites difficultés techniques, sans grand impact. Entretien téléphonique de Crisis Group, figure religieuse participant à l’observation électorale, mai 2023 ; observations de Crisis Group des bureaux d’enrôlement ; entretien de Crisis Group journaliste congolais, basé à Katanga, juin 2023. Voir aussi « En RDC, un processus d’enrôlement semé d’embûches », Jeune Afrique, 6 mars 2023 ; « Rapport final d’observation relatif aux opérations d’enrôlement des électeurs 2022-2023 en République Démocratique du Congo », Mission d’observation électorale, Cenco-ECC, mai 2023. Ayant mené des entretiens à plusieurs niveaux de la Ceni au cours de notre recherche, Crisis Group a écrit une lettre au président de la CENI en juillet 2023 détaillant nos observations sur le déroulement des opérations d’enrôlement, sans recevoir de réponse. [8] Plus tard, le président de la Ceni a déclaré que l’OIF s’était désisté après que le gouvernement s’est opposé à ce que le fichier électoral soit audité par une organisation dirigée par une Rwandaise, Louise Mushikiwabo. [9] Concernant cet audit, la Cenco et l’Eglise du Christ au Congo ont alerté la commission « sur le risque de radicalisation du doute sur la sincérité du processus électoral, susceptible de créer les conditions de contestation des résultats des scrutins attendus ». Communiqué n°005/MOE Cenco-ECC/mai 2023. Voir aussi « RD Congo : l'opposition inquiète du nouveau fichier électoral », TV5 Monde, 19 juin 2023 ; « RDC : l'opposition met en garde contre “une parodie” électorale », Africanews, 13 juillet 2023. B. Rétrécissement de l’espace démocratique et répression des droits politiques À défaut d’un débat démocratique au sein des institutions, les joutes électorales se disputent désormais dans les rues. L’opposition compte, sans succès à ce jour, sur la pression de la rue pour contraindre Tshisekedi à tenir compte de ses revendications et pour attirer l’attention des partenaires régionaux et internationaux. La police et les forces de sécurité répondent par la répression ; le gouvernement de Tshisekedi restreint drastiquement les droits politiques des opposants, entachant de violence l’ensemble du processus électoral. Le déroulement de la campagne électorale à partir de mi-novembre et la période de l’annonce des résultats pourraient être particulièrement tendus. La répression brutale de la marche de l’opposition « contre un processus électoral chaotique et la vie chère » à Kinshasa, le 20 mai, a été le point de départ de cette montée des tensions. La police nationale a violemment dispersé les manifestants, unis pour la première fois derrière Fayulu, Katumbi, Matata Ponyo et Delly Sesanga, du parti Envol, tous candidats déclarés à la présidentielle. Les forces de l’ordre ont, en outre, arrêté plusieurs dizaines de manifestants et blessé une trentaine d’entre eux.[1] Les Nations unies, l’Union européenne (UE), certaines chancelleries occidentales, ainsi que des membres de la société civile, y compris la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), ont condamné cet usage disproportionné de la force et appelé au respect des droits de rassemblement et d’expression.[2] [1] « RD Congo : des manifestations pacifiques violemment réprimées », Human Rights Watch, 29 mai 2023. [2] « Communiqué de presse de la Cenco sur les marches pacifiques du 20 mai 2023 », Cenco ; « Déclaration au sujet de l’usage disproportionné de la force lors de la manifestation du 20 mai 2023 », ambassade des Etats-Unis, Kinshasa, 22 mai 2023 ; « RDC : déclaration de la porte-parole sur les développements récents à Kinshasa », Service européen pour l’action extérieure, 22 mai 2023. Malgré les réactions des partenaires régionaux et internationaux, les autorités ont continué de restreindre les activités de l’opposition. Malgré les réactions des partenaires régionaux et internationaux, les autorités ont continué de restreindre les activités de l’opposition. Le 23 mai, la police a empêché Katumbi de se rendre dans la province du Kongo central pour des activités politiques, invoquant des raisons sécuritaires. Et le 25 mai, le gouvernement a interdit un sit-in de l’opposition devant le siège de la Ceni. Le 26 mai, le maire de Kikwit a invoqué des instructions reçues de sa hiérarchie pour empêcher Matata Ponyo d’entrer dans la ville, dans la province du Kwilu. Une série d’autres mesures de restriction des libertés ont continué de frapper les opposants et tout particulièrement Katumbi. Le 30 mai, les renseignements militaires ont brutalement interpelé Salomon Kalonda, conseiller spécial de Katumbi, à l’aéroport de Kinshasa. Le 5 juin, ils ont assuré que Kalonda était accusé de collusion avec le Rwanda et les rebelles du M23.[1] Le 8 juin, les renseignements militaires ont perquisitionné les résidences de Kalonda et celles de Katumbi à Kinshasa et à Lubumbashi. Des chefs de file de l’opposition ont condamné cette arrestation et dénoncé dans un communiqué la « propension dangereuse au totalitarisme » de Tshisekedi.[2] Des membres de l’opposition considèrent que les restrictions de mouvements de certains opposants comme Katumbi et les poursuites menées contre leurs lieutenants sont des tentatives d’intimidation politique visant à contrer des candidats importants.[3] Dans une autre affaire, le conseiller de Moïse Katumbi, le député Cherubin Okende a été tué par balles à Kinshasa le 13 juillet. Le crime n’a pas été élucidé et les enquêtes semblent piétiner. Cet épisode n’a fait que dégrader les relations entre le pouvoir et le camp Katumbi, car ce dernier soupçonne les autorités de ne pas vouloir élucider l'affaire.[4] Le 8 septembre la police nationale congolaise a arrêté le journaliste Stanis Bujakera, correspondant de Jeune Afrique à Kinshasa. Transféré à la prison centrale de Kinshasa, il est poursuivi pour « propagation de faux bruits » et « diffusion des fausses informations » après la publication d’un article de Jeune Afrique – qu’il n’a pourtant pas signé – mettant en cause la puissante Agence nationale de renseignement (ANR) dans l’assassinat de Chérubin Okende. Malgré une grande mobilisation contre sa détention abusive, le journaliste est resté en prison et Tshisekedi a refusé de condamner son arrestation.[5] Dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, l’état de siège en vigueur depuis mai 2021 produit un climat politique restrictif et préjudiciable aux libertés. Au Nord-Kivu, les autorités militaires ont réprimé plusieurs manifestations contre la prolongation de l’état de siège, limité des activités de la société civile et arrêté des élus qui dénonçaient son inefficacité face aux violences contre les civils et aux attaques des groupes armés.[6] Ainsi, la décision de Tshisekedi de transférer les affaires pénales des civils aux juridictions militaires – une des mesures de l’état de siège – semble avoir entrainé une hausse significative des détentions provisoires, compromis le droit à un procès équitable, et précarisé sérieusement les conditions carcérales.[7] Face aux critiques de plus en plus manifestes vis-à-vis de cette mesure aussi impopulaire qu’inefficace, Tshisekedi a finalement opté le 12 octobre, pour une levée partielle de l’état de siège.[8] Cette décision laisse pourtant en suspens le respect entier des droits fondamentaux en période électorale. [1] Le gouvernement congolais a, par la suite, invité certains diplomates accrédités à Kinshasa pour leur exposer des preuves contre le collaborateur de Moïse Katumbi, accusé de tentative de renversement du pouvoir en faveur d’un ressortissant katangais et pour les inviter à s’en tenir à leur « devoir de réserve » dans ce dossier. Entretien de Crisis Group, diplomate basé à Kinshasa, Goma, juin 2023. [2] « Salomon Kalonda : le bloc de l’opposition exige sa libération immédiate et sans condition », La Prospérité, 1 juin 2023. Lire également, « Communiqué de presse du 30 mai 2023 » des quatre chefs de file du bloc de l’opposition. [3] Fabrice Mfuamba, président fédéral du parti politique Envol, de l’opposant Delly Sesanga, a été tué le 25 avril 2023 dans la ville de Luiza au Kasaï-Central. L’opposant a dénoncé un assassinat politique et la « dérive dictatoriale » de Tshisekedi. Le 20 juin, Franck Diongo, réputé proche de Katumbi et lui aussi candidat déclaré à la présidentielle, a été arrêté par des hommes armés à Kinshasa. Entretien téléphonique de Crisis Group, analyste à Lubumbashi, juin 2023. [4] « RDC : dossier Chérubin Okende : qui veut vraiment connaître la vérité sur cet assassinat ? », La Libre Afrique, 19 septembre 2023. [5] « RDC : Tshisekedi refuse de condamner l’arrestation du journaliste Stanis Bujakera Tshiamala », Le Monde, 20 septembre 2023. [6] Le 8 février, le député national Josué Mufula, élu de Goma (FCC, opposition) a été arrêté à l’aéroport de Goma. Deux autres députés provinciaux et des acteurs de la société civile sont emprisonnés au Nord-Kivu et en Ituri. Voir aussi « RD Congo : l’état de siège dans l’est du pays est accompagné de répression », Human Rights Watch, 22 mars 2022 ; et « RDC : les autorités doivent lever l’état de siège sans plus attendre », Amnesty International, 6 mai 2023. [7] « RDC : les autorités doivent lever l’état de siège sans plus attendre », op. cit. [8] « En RDC, Tshisekedi annonce un allègement de l’état de siège dans l’Est », Jeune Afrique, 13 octobre 2023. C. Les discours incendiaires La rhétorique violente et les discours de plus en plus incendiaires des responsables congolais de l’opposition comme du pouvoir réduisent les perspectives d’un processus électoral pacifique.[1] Dans un premier temps, il s’agissait d’une réaction à des abus avérés, et d’accusations formulées par des opposants dans les réseaux sociaux et dans des discours publics à l’encontre du pouvoir actuel, accusé de favoriser les intérêts particuliers au détriment de l’intérêt national. Ces échanges sont vite devenus clivants. Certains responsables politiques n’hésitent plus à proférer des discours qui divisent, à évoquer des théories du complot, à instrumentaliser les questions d’identité et d’appartenance ethnique, devenues un terreau propice à la mobilisation politique. Dans certaines circonstances, les femmes qui participent aux débats politiques, souvent déjà marginalisées au sein de leurs propres organisations, sont victimes de harcèlement.[2] Depuis la résurgence de la rébellion du M23 en novembre 2021, le pouvoir, tout comme l’opposition, entretient un discours incendiaire contre le Rwanda qui gagne du terrain et qui sera un enjeu des élections présidentielles. Ce voisin de l’est est régulièrement accusé de soutenir la rébellion, d’avoir des visées expansionnistes et son rôle dans les guerres successives du Congo depuis la fin des années 1990 lui est souvent reproché.[3] Kinshasa convoque cette rhétorique à chaque fois qu’elle veut rallier l’opinion à sa cause et fédérer les Congolais autour d’un « ennemi » commun, comme lors du massacre du 30 août à Goma.[4] Même si les preuves du soutien du Rwanda à des groupes armés à l’est de la RDC sont multiples, ce discours rend peu probable une sortie négociée à la crise qui secoue le Nord-Kivu ; il crée un terreau de paranoïa qui s’invite déjà dans la pré-campagne électorale. Il est probable que les candidats rivaliseront pour afficher leur détermination à l’égard du Rwanda, promettant de régler les problèmes d’insécurité et de restaurer la paix.[5] Au niveau social, le regain des activités militaires du M23 – qui se pose comme le défenseur des droits de la communauté tutsi – a également exacerbé un discours de haine à l’encontre de cette communauté. En gagnant du territoire, le M23 a poussé des centaines des milliers de personnes à se déplacer à l’intérieur du pays, tandis que ceux qui n’ont pas pu fuir les avancées rebelles se sont retrouvés coupés du reste du pays. Nombreux sont ceux qui imputent les conséquences de la guerre à la communauté tutsi et qui encouragent les discours de haine véhiculés par les réseaux sociaux, ou prononcés en public par certains responsables politiques. Face à cette montée des rhétoriques incendiaires anti-Rwanda et anti-Tutsi, le président Tshisekedi s’inscrit systématiquement en faux. Plusieurs fois, il a appelé les Congolais à éviter l’amalgame entre les Rwandais « qui sont nos frères » et le régime de Kigali « qui est notre ennemi ».[6] Le 28 février 2023, le président congolais a réaffirmé sa position devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, à Genève : « Quant aux discours de haine contre nos compatriotes Tutsi congolais, mon gouvernement reste ferme contre tout individu ou groupe d’individus qui tiendrait de tels discours et réitère sa demande à toute personne, organisation ou partenaire extérieur de les dénoncer ».[7] Toutefois, certains acteurs politiques, dont certains se targuent de leur proximité avec le président, n’hésitent pas à proférer ou à soutenir des discours de haine. L’ancien ministre Justin Bitakwira, originaire du Sud-Kivu, a notamment affirmé le 6 juillet 2023, sur un média en ligne : « Tous les Tutsis sont des criminels nés ».[8] [1] Pour une vue d’ensemble de cette problématique, même si datant d’une période antérieure, voir « Rapport sur les discours et messages incitatifs à la haine en République démocratique du Congo », Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme en RDC, mars 2021. [2] Bintou Keita, « Halte à la violence et à la misogynie politiques en RDC ! », Jeune Afrique, 31 juillet 2023. Entretien téléphonique de Crisis Group, femme et cheffe de file politique, octobre 2023. [3] Dans un discours résolument offensif aux Nations unies, le président Tshisekedi a martelé que « l’implication du Rwanda et sa responsabilité dans la tragédie que vivent [son] pays et [ses] compatriotes des zones occupées par l’armée rwandaise et ses alliés du M23 ne sont plus discutables ». « À l’ONU, le président Félix Tshisekedi accuse le Rwanda d’“agression” armée dans l’est de la RDC », Le Monde, 22 septembre 2022. [4] Le principal responsable militaire en cause dans cette tuerie, ainsi que certains membres du gouvernement central, ont ainsi invoqué le déploiement des forces spéciales rwandaises à la frontière pour tenter d’expliquer le carnage. Voir le commentaire de Crisis Group, « Le massacre de Goma assombrit la perspective des élections en RD Congo et l’avenir de la mission de l’ONU », op. cit. , et « En RDC, la garde républicaine au centre de l’enquête sur la tuerie de Goma », Jeune Afrique, 4 septembre 2023. [5]« En RDC, le Rwanda, obsession des campagnes présidentielles », Deutsche Welle, 10 octobre 2023; « Constant Mutamba : “Une fois élu président de la République, nous allons faire arrêter Paul Kagame” », Mediacongo, 27 août 2023. [6] « Tshisekedi-Kagame : la guerre des mots », Afrikarabia, 4 décembre 2022. [7] Discours du président Félix-Antoine Tshisekedi à la 52e session du Conseil des droits de l’homme, 28 février 2023. [8] « Les propos “anti-Tutsi” de Bitakwira sèment la zizanie entre Rose Mutombo et Jean-Marc Châtaignier », Mediacongo, 30 juillet 2023. Le 9 février, en campagne aux Etats-Unis pour la « derwandarisation des institutions du pays », le député national Elieyer Ntambwe estime dans le journal @ACTU qu’« il faut dénoncer et chasser tous les Rwandais, c'est la solution pour mettre fin à l'insécurité à l'est ». Dans la mesure où la lutte contre le M23 s’invite dans le débat politique, les discours incendiaires risquent de se traduire par des actes de violence pendant la campagne électorale. Dans la mesure où la lutte contre le M23 s’invite dans le débat politique, les discours incendiaires risquent de se traduire par des actes de violence pendant la campagne électorale, comme le montrent les situations déjà observées depuis plus d’un an. Lors des manifestations contre le Rwanda en juin 2022 à Goma, des manifestants ont vandalisé les commerces appartenant à des Rwandais ou à des Congolais tutsi, ciblés parce qu’assimilés à des Rwandais.[1] Le même mois à Kinshasa, des jeunes proches du parti présidentiel, armés de machettes et d’armes blanches, ont prétendu identifier des Rwandais au faciès, et les ont menacés de mort.[2] En février 2023, lors de l’enregistrement des électeurs, des responsables de la sécurité de la Ceni ont pris à part des jeunes identifiés comme tutsi et leur ont interdit d’entrer dans un centre d’enrôlement de Goma, au motif qu’ils étaient rwandais.[3] L’exclusion du processus électoral de plus d’un million de personnes, du fait de l’insécurité au Nord-Kivu et des déplacements de population, sera également au cœur de la campagne électorale, ce qui pourrait contribuer à renforcer les clivages existants. Ces déplacés comprennent une grande majorité des Hutu de Masisi et de Rutshuru, territoires qui ont connu des violences récurrentes basées sur les identités ethniques ; leur exclusion des votes et de la représentation parlementaire pourrait renforcer la perception qu’ont ces populations d’être considérées comme des citoyens de seconde zone et raviver les antagonismes entre les « autochtones « et les « allochtones ».[4] Les discours incendiaires ne se limitent pas au Nord-Kivu ni à la seule communauté tutsi. Ils prolifèrent dans plusieurs autres régions du pays et risquent de se propager encore davantage à l’approche des étapes critiques du processus électoral où les candidats se servent sans retenue des discours ethniques et divisionnistes pour engranger des voix dans leurs bastions. Plusieurs médias en ligne et des comptes individuels basés à Kinshasa, à Lubumbashi et dans les villes où résident des membres de la diaspora, publient notamment sur le réseau social YouTube, des propos de nature à inciter à la haine intercommunautaire. Les cibles de la stigmatisation varient selon les intérêts socio-politiques.[5] Au Katanga, des médias réputés proches des « Katangais » profèrent des propos injurieux à l’encontre des « Kasaïens », et vice-versa.[6] [1] Observation de Crisis Group, Goma, juin 2022. Voir aussi « RD Congo : manifestation anti-Rwanda à Goma, les commerces tenus par des Rwandais pillés », France 24, 15 juin 2022. [2] Entretien de Crisis Group, responsable politique, Kinshasa, février 2023. Voir aussi « RDC : arrestation d’anti-rwandophones “porteurs de machettes” à Kinshasa », Le Monde, juin 2022. [3] Observation de Crisis Group, Goma, février 2023. [4] Entretien de Crisis Group, élu de l’opposition, Goma, septembre 2023 ; Lire aussi, « Dans l’est de la RDC en guerre, le difficile enrôlement des électeurs », Le Monde, 9 mars 2023. [5] Entretiens de Crisis Group, chercheurs à Kinshasa, Lubumbashi, août 2023. [6] Entretien de Crisis Group, expert local, Lubumbashi, août 2023. Le 31 mai, par exemple, un membre anonyme du parti Ensemble pour la République de Moïse Katumbi @defenseurmk, publie sur le réseau X : « Pourquoi vous les Luba considérez-vous la #RDC comme le Kasaï ? Maniema, Katanga, chassons les Bilulu qui veulent plonger le pays dans le sang. Cher @IsralMutombo11 dit à tes frères Kasaïens qu'ils préparent leur bagage. La chasse vient de commencer. » Voir aussi: « RD Congo: tensions au Katanga: frottements ethniques et manipulation politique (vidéos) », La Libre Afrique, 20 janvier 2021. V. Minimiser les risques de violence autour des élections La réussite des différents scrutins électoraux de 2023 et 2024 est essentielle pour que cette période électorale ne débouche pas sur de nouveaux conflits ou sur une cristallisation, voire une aggravation des conflits existants. La répression brutale de la marche de l’opposition à Kinshasa le 20 mai ; les différentes formes de répression des partis d’opposition et les arrestations de ses représentants qui s’en sont suivies ; ainsi que la répression sanglante d’une tentative de manifestation d’une secte religieuse à Goma le 30 août, sont autant de signes que les tensions montent. Ces tensions risquent d’entamer considérablement la légitimité des élections. Au Nord-Kivu, si une trêve reste difficilement envisageable, le gouvernement devrait pour le moins s’abstenir de mener des interventions armées précipitées, susceptibles de perturber davantage la tenue des élections dans cette région. Le gouvernement présente la mobilisation contre le M23 comme un moyen de sécuriser le terrain afin de permettre à un maximum de citoyens de voter. Mais la reprise des combats entre le M23 et les forces armées et ses supplétifs, visible sur le terrain, risque de priver encore plus de citoyens de leur droit de vote, de provoquer des déplacements supplémentaires et d’aboutir à un élargissement des zones de conflit. Pour améliorer les chances d’élections légitimes et pacifiques, le gouvernement devrait prendre des mesures fortes pour limiter les abus de pouvoir. Pour améliorer les chances d’élections légitimes et pacifiques, le gouvernement devrait prendre des mesures fortes pour limiter les abus de pouvoir et créer un environnement propice à une campagne électorale équitable et à des élections libres et transparentes. La première de ces mesures devrait être de veiller à ce que les forces de sécurité respectent les libertés fondamentales et de sanctionner les responsables des violations. La mise en examen d’officiers et de soldats impliqués dans le massacre de Goma du 30 août 2023 n’est qu’un point de départ.[1] La réduction des discours incendiaires, sur les réseaux sociaux et dans la rue, fait aussi partie de ce chantier nécessaire pour améliorer le climat électoral. Ensuite, dans un contexte marqué par une incertitude continue, il est important, de chercher un consensus politique a minima entre le pouvoir et l’opposition. Même s’il est désormais très probable que les élections se tiennent le 20 décembre, des imprévus sécuritaires ou logistiques pourraient occasionner un court retard technique. Le cas échéant, il sera essentiel de trouver un consensus autour de la suite du calendrier opérationnel et les structures intérimaires à mettre en place avant le scrutin. Il est important, dans ce scénario, ainsi que dans le scénario d’un résultat fortement contesté, que les acteurs internationaux, à commencer par les puissances africaines impliquées dans le dossier, puissent s’unir pour aider les Congolais à surmonter ces défis politiques. Enfin, il est crucial d’améliorer la gestion et la transparence des élections à tous les niveaux, et, ce faisant, de réduire toute possibilité de monnayage des électeurs par les responsables de la Ceni. La transparence de la Ceni et de la Cour constitutionnelle dans le comptage et la déclaration des résultats est primordiale, tout écart entre le résultat des urnes et le résultat annoncé pourrait être porteur de crise. [1] Voir le commentaire de Crisis Group, « Le massacre de Goma assombrit la perspective des élections en RD Congo et l’avenir de la mission de l’ONU », op. cit. A. Limiter les abus du pouvoir et réduire la rhétorique incendiaire Le processus électoral souffre déjà d’abus de pouvoir et en particulier de restrictions des libertés politiques qui sont susceptibles d’affecter fortement la campagne et les scrutins. Le président Tshisekedi devrait prendre davantage de mesures pour mettre un frein à ces abus, notamment en sanctionnant les responsables au sein des forces de sécurité. De plus, il devrait s’attaquer à la perception, étayée par les recherches de Crisis Group (voir section III.B.), que les Kasaïens exercent une influence dominante au sein de la puissante et redoutée Garde républicaine, ainsi que dans les récentes vagues de recrutement au sein de l’ensemble des forces de sécurité. Il est crucial d’assurer une représentation plus équilibrée des diverses communautés nationales au sein de ces nouvelles recrues. Le gouvernement, les responsables politiques et les acteurs de la société civile doivent lutter contre la montée inquiétante des discours incendiaires de certains responsables politiques qui ne cherchent qu’à renforcer leur base politique en semant la haine contre certaines communautés ou contre des pays voisins, notamment le Rwanda. Cette rhétorique, que l’on retrouve chez des responsables politiques de tous bords et largement relayées par les réseaux sociaux, risque de mener à une flambée de la violence au sein des communautés vivant depuis des décennies dans un contexte d’animosité ouverte ou larvée. À l’instar du président qui s’est exprimé pour freiner les attaques contre de la communauté tutsi (voir section IV.C), il est essentiel que les personnalités les plus en vue, quelle que soit leur appartenance politique, prennent la parole pour dénoncer ces dérives. B. Gérer le processus électoral de manière consensuelle Le gouvernement et la Ceni doivent s’efforcer de dialoguer avec les membres de l’opposition. Bien qu’il soit trop tard pour modifier de nombreuses décisions prises (concernant la loi électorale, par exemple), il est vital que le gouvernement et la Ceni cherchent à établir une communication avec leurs détracteurs à l’approche des étapes névralgiques du calendrier électoral, en particulier en novembre lors de la confirmation des candidatures à l’élection présidentielle, et pour l’ensemble des scrutins. À l’heure actuelle, il semble probable que les scrutins présidentiel et parlementaire se tiendront en décembre, mais le gouvernement et la Ceni devraient maintenir le dialogue en cas d’éventuel retard. Pour l’heure, la question d’un report n’est pas à l’ordre du jour selon la Ceni. Pourtant, certaines voix se lèvent pour alerter sur les problèmes logistiques et politiques dont continue de souffrir la Ceni (voir ci-dessus IV.A). Certains, comme l’ancien Premier ministre et candidat à la présidentielle Adolphe Muzito, vont jusqu’à considérer qu’un report technique est inévitable, notamment du fait des difficultés financières de la commission électorale.[1] Dans ce contexte il est crucial que la Ceni soit aussi transparente que possible afin de permettre une discussion entre les partis politiques sur la gestion d’un report, si cela s’avère nécessaire. Le cas échéant, il serait essentiel qu’il soit court, motivé par des contraintes techniques, qu’il ne soit pas perçu comme donnant un avantage politique à l’une des parties, et qu’il fasse l’objet d’un accord entre le gouvernement et l’opposition. Les partenaires internationaux considèrent qu’un report risquerait de soulever des questions constitutionnelles complexes liées à la désignation de responsables en cas de période intérimaire, et préfèrent ne pas évoquer une telle éventualité, mais l’insécurité dans de nombreuses régions du pays rend la campagne électorale très imprévisible, et s’ajoute à des problèmes logistiques que certains anticipent.[2] Le président Tshisekedi et son opposition devraient par conséquent envisager cette éventualité, la dédramatiser et, le cas échéant, la gérer de manière consensuelle. [1] « Pour Adolphe Muzito, reçu par la Ceni, le report des élections est “irréversible” », RFI, 4 juillet 2023. Voir aussi : « RDC : Négociations pour un report des élections ? », La Libre Afrique, 16 août 2023. [2] Entretiens de Crisis Group, responsables onusiens et diplomates, Bruxelles et par visioconférence, mai 2023. C. Améliorer le financement et la transparence Malgré les efforts du gouvernement visant à financer l’intégralité du processus électoral sur ses fonds propres, la phase de l’enrôlement a révélé que la commission électorale éprouvait des difficultés de trésorerie. La Ceni a tardé à verser les primes de ses agents ; certains ne l’avaient pas encore perçue plus d’un mois après la clôture des opérations.[1] Certains agents ont monnayé l’accès à l’enrôlement malgré l’interdiction explicite de telles pratiques. Si la Ceni continue d’accuser des retards de paiement, certains agents pourraient être tentés de monnayer les votes. Le rôle des observateurs domestiques pour dissuader de telles pratiques pourrait être crucial. Il est également essentiel que, par mesure préventive, la Ceni veille à la rémunération en temps et en heure de ses agents et sanctionne ceux qui pratiquent l’achat de votes ou l’extorsion des électeurs, comme c’était le cas pendant l’enrôlement. La Ceni devrait également faire preuve de transparence dans ses autres opérations. Elle devrait, par exemple, publier son budget, ses sources de financement et ses procédures d’approvisionnement en biens et matériels ainsi que son plan de déploiement. Elle devrait tirer les leçons des opérations d’enrôlement pour que la distribution des kits électoraux soit aussi équitable que possible à travers le pays, afin d’éviter tout soupçon de favoritisme envers les régions réputées favorables à Tshisekedi. La Ceni pourrait collaborer sur ce point avec les acteurs politiques et de la société civile en vue de dissiper les soupçons de déséquilibre et de préférence. Elle devrait faire ouvertement état des obstacles auxquels elle est confrontée et y apporter les correctifs nécessaires. La transparence sera particulièrement essentielle au moment du scrutin, lors du comptage des votes et de l’annonce des résultats. La loi électorale n’étant pas suffisamment claire sur la façon dont la Ceni devrait publier les résultats, celle-ci devrait prendre ses responsabilités afin d’assurer sa propre crédibilité et celle des résultats, notamment en les publiant bureau par bureau. Comme l’a déclaré son président, elle devrait s’assurer que « c’est celui qui a gagné le vote qui sera proclamé vainqueur », pour ne pas contribuer à exacerber les tensions sociales et politiques.[2] La même diligence devrait s’appliquer à tous les autres scrutins. Enfin, la Ceni devrait renforcer ses efforts de communication afin de dissiper la méfiance. Tout incident, notamment les allégations de traitement inéquitable des circonscriptions ou de fraude, devrait faire l’objet d’une communication immédiate, tout comme des éventuelles modifications de la conduite des opérations. Cette communication s’est jusque-là essentiellement limitée aux grandes annonces et aux activités des cadres de la commission. Or, le manque d’informations factuelles nuit à la crédibilité de la Ceni, et nourrit un manque de confiance entre les partis. La commission devrait communiquer régulièrement et veiller à ce que la presse et les observateurs électoraux aient accès à toutes les informations électorales. [1] Entretien de Crisis Group, cadre de la Ceni, Goma, mai 2023. Voir aussi : « Denis Kadima en difficulté financière pour rémunérer les agents temporaires », Congo Profond, 12 mars 2023. [2] « Élections de 2023 : “Avec notre équipe, c’est celui qui aura gagné qui sera proclamé vainqueur” (Denis Kadima) », Politico.cd, 16 juillet 2022. D. Rôle des partenaires régionaux et internationaux Les partenaires régionaux et internationaux de la RDC sont restés relativement silencieux face aux défauts du processus électoral en cours. Ils auraient pourtant tout intérêt à s’impliquer davantage dans un processus électoral qui aura des répercussions sur les efforts de stabilité en cours dans la région. Même si les défis sont de taille et que certains observateurs estiment que les occasions de mettre en place un processus électoral consensuel ont été manquées, le rôle de ces partenaires auprès des autorités et de l’opposition reste important. Les principaux partenaires de la RDC, que sont l’UE, l’UA, leurs Etats membres, ainsi que les Etats-Unis, devraient continuer à soutenir les observateurs de la société civile et encourager les mesures de transparence, en particulier auprès de la Ceni. Ils devraient prêter une attention particulière aux abus de pouvoir de toutes sortes, et continuer à suivre de près les questions de liberté politique, comme l’ont fait les chancelleries occidentales à Kinshasa après la répression de la marche des opposants du 20 mai.[1] [1] « Déclaration conjointe des ambassades des États-Unis, d’Allemagne, de Belgique, du Canada, d’Espagne, de France, de Grèce, d’Italie, du Japon, de Norvège, des Pays-Bas, du Portugal, du Royaume-Uni, de Suède, de Suisse, de République tchèque, et de la délégation de l’UE », op.cit. L’UA ... devrait dès maintenant jouer un rôle de premier plan durant tout le processus et ne pas attendre d’éventuelles contestations des résultats. Étant donné que les acteurs africains s’impliqueraient probablement dans une médiation en cas de crise, les puissances du continent ayant une influence sur la région, par exemple l’Angola, le Kenya ou des pays d’influence au sein de l’UA et les organisations sous-régionales telles que la CAE et la SADC devraient surmonter leurs différends par rapport à la gestion de la guerre à l’est du pays, pour jeter les bases d’une meilleure coordination le moment venu. L’UA, à travers son département des affaires politiques dont la division dédiée à la démocratie, et sa représentation à Kinshasa, devrait dès maintenant jouer un rôle de premier plan durant tout le processus et ne pas attendre d’éventuelles contestations des résultats pour offrir ses bons offices. Les missions d’observations que certaines organisations telles que l’UA et l’UE comptent envoyer ou financer (les Etats-Unis, par exemple, financent la mission du Centre Carter) pourrait informer des diplomates impliqués dans la médiation, en cas d’éventuel désaccord sur le résultat du scrutin. Les observateurs nationaux, principalement ceux travaillant pour les Eglises au sein de la mission électorale conjointe, auront pourtant une bien meilleure lecture du déroulement du vote que leurs homologues internationaux, et il est donc crucial que les bailleurs occidentaux n’hésitent pas à leur assurer leur financement en cas de besoin. L’approbation ou, au contraire, la contestation des résultats annoncés par les observateurs nationaux pourraient marquer un tournant décisif au cours des phases finales du processus électoral. VI. Conclusion Alors que les différents scrutins approchent, les incertitudes et les risques qui pèsent sur les élections en RDC sont multiples. Le gouvernement et l’opposition n’ont pas trouvé de consensus sur les éléments-clés, tels que le fichier électoral et d’autres questions liées au fonctionnement de la Ceni. Les abus des forces de sécurité et la multiplication de discours d’incitation à la haine entre les communautés accentuent les tensions, en particulier dans l’ancienne province du Katanga et les régions de l’est. La mobilisation des forces gouvernementales et de leurs supplétifs au Nord-Kivu, observée à partir du mois d’octobre, contre le M23, est particulièrement inquiétante car elle risque d’accentuer les déplacements de la population en amont du scrutin. Dans ce contexte, certains membres de l’opposition menacent de rejeter les résultats des scrutins, ce qui provoquerait une crise au sommet de l’Etat et risquerait de nuire à la stabilité du pays et d’accroître les tensions entre les communautés. Le gouvernement et les membres de l’opposition devraient faire preuve d’une volonté de compromis et trouver des solutions aux problèmes les plus urgents pour garantir des préparatifs consensuels et veiller au bon déroulement du scrutin. Bruxelles/Nairobi, 30 octobre 2023 Related Tags More for you Q&A / Africa Le massacre de Goma assombrit la perspective des élections en RD Congo et l’avenir de la mission de l’ONU Also available in Also available in English Q&A / Africa Dangereuse escalade dans les Grands Lacs Also available in Also available in English